Léo et Rémi sont meilleurs amis depuis l’enfance. Au collège où ils se retrouvent dans la même classe, la proximité entre les deux garçons fait jaser et supposer une relation amoureuse. Léo commence à s’éloigner en se mettant au hockey sur glace et en se faisant de nouveaux amis…
On avait quitté Lukas Dhont avec Girl, un premier long-métrage qui s’était fait remarquer au Festival de Cannes en remportant la Caméra d’or mais avait suscité la polémique pour sa représentation d’une personne trans centrée sur les organes sexuels, la nudité et la souffrance.
Le cinéaste belge revient avec un nouveau film autour de l’adolescence et des bouleversements liés à celle-ci. En se remémorant sa propre difficulté à trouver sa place au sein du groupe dans son enfance et des relations d’amitié évanouies à cause de la distance qu’il avait prise, le réalisateur s’attache à la relation entre deux garçons au sortir de l’enfance. Il rencontre dans un train le jeune Eden Dambrine et voit en lui son protagoniste, un jeune garçon joyeux habitué à se dépenser en aidant sa famille, cultivatrice de fleurs, ce qui donne lieu à des plans particulièrement esthétiques et colorés, comme une version moderne des Coquelicots de Monet. Dans le tableau, le passage du temps est symbolisé par le redoublement des figures à l’arrière-plan et au premier plan ; dans le film, l’ouverture et la clôture se répondent avec Léo courant dans le champ de fleurs et regardant derrière lui. C’est avec Gustav de Waele, dont c’est également la première apparition au cinéma, que Lukas Dhont matche Eden Dambrine pour créer une amitié réaliste à l’écran, et en effet en dépit de l’évidente disparité des caractères des deux personnages, on croit dès le premier instant à l’ancienneté de leur complicité, renforcée par la proximité de chaque garçon avec la famille de l’autre : on remarque que la mère de Rémi appelle Léo son « fils de cœur ».
Il y a chez le cinéaste un évident plaisir à faire de belles images, et presque une façon de se regarder filmer, dans l’utilisation des lumières dorées en extérieur ou des jeux de focale dans les scènes intimistes jonglant entre les visages des deux garçons. On ne lui en voudra pas, car le résultat est effectivement séduisant esthétiquement, en revanche, il y a de quoi en vouloir aux personnes qui ont composé une bande-annonce spoilant allègrement l’événement central et dramatique du film, gâchant complètement le travail narratif de construction de l’émotion. Privé de la sidération du choc, le film reste touchant mais perd en force, hélas. Reste le jeu puissant d’Émilie Dequenne, jamais dans le pathos en dépit d’une partition complexe, et la scène de dîner dans laquelle Kevin Janssens fait monter les larmes.
Sensible aux bouleversements moins qu’on ne l’aurait voulu, c’est finalement davantage la première partie qu’on retient, avec ses scènes quotidiennes tendres, en particulier celles où Rémi joue du hautbois, qui prouvent que la sensibilité et la douceur ont aussi toute leur place chez les garçons. Si la seconde partie se focalise sur la culpabilité de Léo, toute la première pointe avant tout la responsabilité globale d’une société qui enferme chaque genre dans des rôles attendus. Les réactions des autres jeunes, allant d’une curiosité maladroite à des moqueries méchantes, reflètent des normes sociales de genre patriarcales et traditionnelles encore très ancrées, dans lesquelles « vrai mec fait du hockey et joue aux jeux vidéos mais ne fait pas des câlins et ne dort pas avec un ami de même sexe ». Là où l’écriture est fine, c’est qu’elle montre aussi ce que l’adoption des codes du groupe peut apporter à Léo comme épanouissement, nouvelle activité et nouvelles amitiés. Mais aussi parce qu’elle ne tranche jamais complètement la nature du lien entre Léo et Rémi, ou plutôt la tournure que celui-ci aurait éventuellement pu prendre en grandissant. C’est le propre et le charme des films qui se consacrent au début de l’adolescence, celui de laisser des portes ouvertes. Léo, lui, a voulu fermer une porte de façon imagée en clarifiant ses relations et son identité. Le plan, très fort, sur la porte défoncée, révèle bien tout le danger qu’il y a à vouloir absolument nommer, classifier et codifier la richesse, la diversité et la finesse des plus belles relations humaines.
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