« Bowling Saturne », la nuit des chasseurs

À la mort de son père, Guillaume, policier, propose à son demi-frère Armand la gérance du bowling dont il a hérité. Rapidement, celui-ci est dérangé par la présence de vieux chasseurs amis du défunt et souhaite féminiser la clientèle…

En 2022, dans les œuvres françaises, les choses sont claires : les féminicides sont devenus un vrai sujet de cinéma. Dominik Moll nous en a offert une lecture sociologique marquante et bouleversante avec La Nuit du 12, qui a su conquérir de nombreux/ses spectateurs/trices. Avec Bowling Saturne, Patricia Mazuy choisit de s’ancrer dans les codes du film noir et de l’histoire de famille tordue pour nous assener une violence difficilement soutenable. Ici, peu de paroles et encore moins de discours sur l’état du monde. À peine un personnage de militante écologiste dont le combat est finalement relégué au second plan à partir de sa rencontre avec l’un des protagonistes masculins. C’est par l’image et l’atmosphère, bien plus que par l’écriture et les dialogues, que passe l’impact.

Dans un bowling de province, quelque part dans une ville de Normandie recomposée par des plans de Caen, Deauville et Lisieux, la cinéaste déromantise la région au profit d’une impression de France des marges, une urbanité de laissés-pour-compte à l’instar d’Armand, fils naturel tenu à l’écart de l’héritage et du fils légitime. Rapidement, ce personnage d’homme au regard égaré (Achille Reggiani, le propre fils de la cinéaste) laisse transparaître dans les lumières baignées de rouge du bowling une tension animale. Et c’est bien en animal qu’il se comporte quand son regard lubrique erre sur toutes les jeunes femmes passant à portée. La caméra adoptant son point de vue fait monter le malaise à mesure que, enhardi par son nouveau statut de gérant et la veste en python de son père récupérée dans un placard, l’homme qui priait une inconnue de l’héberger devient un prédateur pour lequel les attributs féminins sont l’appât réveillant son instinct.

Bien qu’il entre en conflit avec le groupe de chasseurs amis de son père, qui représentent un milieu masculiniste de boys club vieille garde campant sur sa posture dominante, Armand reste bien le fils de son père. Sauf qu’il ne chasse pas le lion au fusil, mais les femmes à mains nues. La scène la plus violente, quasiment irregardable, est captée par une caméra qui ne cille pas, qui livre brut le pire, comme récemment dans Les Nuits de Mashhad. Et à mesure que l’homme, le mâle, se déshumanise en plongeant dans le mal sans scrupule, l’animal, le chien en l’occurrence, apparaît comme l’être le plus doué d’empathie envers les victimes.

À mi-chemin, la cinéaste change son fusil d’épaule et adopte le point de vue de l’aîné (Arieh Worthalter), flic plus prompt à se laisser séduire qu’à trouver le coupable pourtant sous son nez. Les rapports entre les deux frères oscillent entre des confrontations façon western aux champs/contrechamps mécaniques et de vieilles rivalités entre mal-aimé et enfant chéri qui ont fait les beaux jours de nombre de téléfilms et séries d’enquêtes policières.

La fascination pour la violence et les racines du mal pousse la cinéaste à une esthétique radicale que la minceur du scénario ne vient pas soutenir. Reste alors en premier lieu l’expérience sensorielle éprouvante voire traumatisante dans laquelle toute femme est une proie et tout homme, au pire un danger, au mieux un allié bien fragile.

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