Romane vit dans la maison de sa grand-mère avec sa sœur Clémence, handicapée et muette depuis un accident cérébral. Lorsqu’elle rencontre Guillaume, le pompier voit chez Clémence la possibilité d’une rééducation rédemptrice…
En recevant la Palme d’or pour Titane, Julia Ducournau avait prié « laissez rentrer les monstres ». Il semblerait que dans le cinéma français, elle ait été entendue par une génération de cinéastes avides d’explorer les failles les plus intimes et profondes de leurs personnages. C’est notamment le cas de Sophie Levy qui pour son premier long-métrage propose une variation contemporaine autour du mythe de Méduse. Fait notable, le film est distribué par Wayna Pitch, qui nous a déjà permis de découvrir l’hiver dernier une réécriture brésilienne du mythe (Medusa de Anita Rocha da Silveira).
Point ici de rébellion féministe contre un ordre établi mais la relation complexe de deux sœurs vivant ensemble davantage par contraintes que par choix. L’aînée, Romane (Roxane Mesquida, trop rare dans le cinéma français mais qu’on avait récemment pu admirer dans un rôle déjà bien tordu dans Now Apocalypse, la série the Gregg Araki) travaille dans l’immobilier et s’est installée par facilité dans la grande maison vide de la grand-mère désormais en EHPAD. La cadette, Clémence (Anamaria Vartolomei qui signe ici son grand retour après son rôle dans L’Événement qui lui a valu le César de la révélation), victime d’un accident cérébral à l’adolescence, peine à se déplacer et à communiquer et ne peut donc habiter seule. Laquelle est donc Méduse ? Le personnage mythologique hante le récit à travers les reproductions du livre d’art que Clémence feuillette régulièrement, comme fascinée par les tortures violentes infligées sur les tableaux et les monstres représentés.
La cinéaste installe une ambiance singulière dans cette immense propriété dont on découvre peu à peu toutes les pièces et les extérieurs également peuplés d’animaux (réels ou sculptés), qui constitue pour les deux sœurs une sorte de prison dorée. L’esthétique unique de Sophie Lévy se distingue par une tonalité visuelle faite d’un camaïeu de couleurs allant du beige au brun en passant par le jaune ou le rose pâles, dans laquelle l’uniforme de pompier arboré par Guillaume et son casque rutilant font une irruption qui tranche. Si les personnages sont parfois figés, en particulier Clémence dans la première partie du film, régulièrement saisie allongée sur un transat ou un canapé, on constate un contraste avec les mouvements vifs de Romane s’amusant avec Guillaume dans une course-poursuite à travers les pièces de la maison. Pour capter ces deux opposés, dont les tendances vont petit à petit s’inverser, la caméra est très mobile, et s’attache en particulier à isoler en gros plan des parties du corps, des objets, et particulièrement des étoffes, qui permettent de ressentir quasiment de manière tactile ce qui est éprouvé par les personnages. Autre singularité, une économie de dialogue et même de musique qui laisse une grande part au silence, mettant en valeur le personnage de Clémence et sa façon de communiquer en étant lue sur les lèvres, et faisant ressortir le moindre son, la moindre respiration.
Intriguant, mystérieux, le long-métrage ne se laisse pas réduire à un genre ou à une humeur. Comme la relation entre les deux sœurs, faite d’amour et de haine, de codépendance et de jalousie, d’entraide et de toxicité, il réussit aussi bien la création d’une tension qui menace à chaque instant d’une explosion tragique et violente que le surgissement de bulles de légèreté, de moments de joie et de rire, de complicité et de tendresse. À ce jeu-là, Roxane Mesquida, ombrageuse et torturée, et Anamaria Vartolomei, secrètement prête à l’éclosion, composent les deux facettes d’une même féminité que la présence de l’homme (Arnaud Valois), tout rempli de bons sentiments et de bonnes intentions à leur égard, vient nécessairement bouleverser.
L’air de rien, Sophie Levy réussit au passage un film sur les aidant(e)s et le regard communément posé sur le handicap qui, en donnant à ses protagonistes la possibilité de ne pas être idéales, évite tout pathos.
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