Tori et Lokita sont arrivé(e)s en Belgique depuis la Sicile, après avoir traversé la Méditerranée sur le même bateau. Liés par une relation très forte, il et elle se font passer pour frère et sœur afin que Lokita puisse obtenir des papiers…
Dans Le jeune Ahmed, les frères Dardenne interrogeaient ce qui dans l’intégration a pu rater au point qu’un adolescent se laisse embrigader dans l’extrémisme religieux. Dans Tori et Lokita, la question est quelque part prolongée en se plaçant au début du processus. Que fait-on des très jeunes gens qui arrivent dans un pays occidental sans famille, sans adulte pour les protéger, sans statut légal ?
Ces gamin(e)s qu’on appelle généralement « mineurs non accompagnés » acquièrent ici une individualité parce qu’ils sont deux. C’est la relation qui les unit qui devient le trait principal de leur personnalité : chacun s’inquiète pour l’autre, tente d’adoucir son quotidien ou de le protéger. Lokita, c’est l’angoisse, la peur de la séparation, de manquer d’argent, de se voir contrainte par la loi à abandonner Tori. Tori, c’est l’espoir, l’optimisme, les dessins et les chansons comme des remparts érigés entre la violence sociale et leur bulle à deux. Dans le titre du film, ce qui importe, c’est le « et ». Le trait d’union qui constitue le ciment d’un scénario tout entier polarisé entre les moments de séparation et les moments de retrouvailles.
Une fois de plus, les deux frères belges ont fait appel à des débutant(e)s pour leurs rôles principaux, le petit Pablo Schils et la grande Joely Mbundu, très bien choisi(e)s et très complémentaires. La combinaison de visages inconnus et d’une façon de filmer toujours aussi naturaliste contribue au côté quasi documentaire du long-métrage. Cependant, le choix de confronter les enfants au milieu du trafic de drogue est clairement ce qui tire l’ensemble du côté de la fiction. On retrouve dans le film des réminiscences d’œuvres précédentes : un gamin au vélo, la forêt le long d’une route où tout peut arriver à l’abri des regards, la subornation par des adultes malintentionnés d’enfants livrés eux-mêmes, et même le décor de la cuisine comme repaire de repris de justice.
Plus que jamais, ce cinéma social se veut un manifeste contre les procédures d’accueil des enfants étrangers en Europe, et la construction du récit, avec son ouverture sur l’audition de Lokita pour obtenir les papiers et la mention de ceux-ci dans le dernier monologue de Tori, insiste lourdement sur la responsabilité des pouvoirs publics dans le destin des protagonistes. Avec son côté Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, où toutes les calamités possibles s’abattent tour à tour sur les enfants, cerné(e)s par des adultes majoritairement malintentionnés qui ne pensent qu’à leur extorquer de l’argent, les utiliser pour faire des choses illégales ou attenter à leur pudeur, Tori et Lokita devient presque trop lourd et trop peu subtil dans sa façon d’assener sa vision sombre du monde à la face des spectateurs/trices. On s’habitue tellement à ce que les deux cinéastes fassent toujours le choix du pire qu’on finit par ne plus en être aussi bouleversé(e) qu’on le devrait. Paradoxalement, ce sont les scènes les plus légères, telles que le karaoké au restaurant, qui trouvent le plus facilement le chemin des cœurs.
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