Les journées de Sandra sont rythmées par ses visites à son père, Georg, professeur de philosophie atteint d’un syndrome dégénératif qui lui fait perdre la vue et la mémoire. Elle recroise par hasard Clément, un ancien ami…
Depuis deux films, la filmographie de Mia Hansen-Løve avait évolué. Comme si la cinéaste avait fait le tour de ses histoires de famille, après un film consacré à son frère (Eden), puis un autre à sa mère (L’Avenir). On avait aimé partir en voyage avec sa caméra, de l’Inde à l’île de Färø, sur les traces de personnages tortueux mais aussi lumineux.
Il est peut-être là, le point commun avec Un beau matin : dans le désir de faire coïncider les méandres de la souffrance avec quelque chose de plus doux et positif. Par ailleurs, ce film est davantage à rapprocher des précédents qui s’inspiraient de sa vie et de celle de ses proches, puisque c’est cette fois la maladie de son père qui donne le point de départ du projet. Il n’est dès lors pas étonnant de pouvoir faire les mêmes reproches à ce film qu’à L’Avenir, en particulier. L’impression d’une œuvre qui n’a ni vrai début ni vraie fin, d’une tranche de vie plus que d’une intrigue, qui fait coexister des éléments qui certes dans la vie peuvent coïncider mais qui ne font pas forcément sens ensemble dans la fiction. La cinéaste paraît avoir du mal à se détacher du réel pour proposer un objet qui puisse réellement parler aux spectateurs/trices et n’être pas que son propre exutoire. Techniquement, en dépit du joli grain de la pellicule, on a également l’impression d’un retour en arrière après deux longs-métrages plus travaillés dans leur image (on se souvient notamment de fabuleux plans autour de Mia Wasikowska dans Bergman Island).
Ce qu’il y a de vraiment beau, dans Un beau matin, c’est la musique. D’abord ce morceau repéré dans un film de Bergman, « Liksom en Herdinna », censé représenter la marche d’une bergère et qui accompagne à de nombreux moments le personnage de Sandra dans ses déplacements. La musique est un mélange d’un rythme paisible et presque joyeux et d’une orchestration assez déchirante, qui convient parfaitement à l’humeur du film. On peut aussi saluer la scène offerte par la sonate 20 de Schubert, et le choix judicieux du titre « Love Will Remain » pour le générique. On ne peut qu’être frappé(e) par la plus-value qu’apporte la musique, qui seule réussit à faire jaillir des touches d’émotion (et on peut donc regretter qu’elle ne soit pas davantage présente). Le reste du temps, malheureusement, en dépit des situations douloureuses qui peuvent être racontées, il est difficile de se sentir vraiment concerné(e), la faute à un montage trop serré mais surtout à une direction d’acteurs et d’actrices qui impose des changements d’humeur assez incohérents et souvent trop rapides pour nous laisser le temps d’éprouver soit leur joie soit leur chagrin. C’est en particulier flagrant pour le personnage de Léa Seydoux, qui se met perpétuellement à rire au milieu de ses larmes ou à pleurer en un sourire, de sorte que toute émotion semble brouillée ou même fausse. Il faut dire que Sandra est un personnage facilement agaçant, en particulier dans sa relation sentimentale avec Clément, qui n’est pas en reste de ce point de vue. C’est d’autant plus frustrant que les scènes entre Léa Seydoux et Melvil Poupaud réservent quelques répliques particulièrement pertinentes et quelques beaux plans, mais les atermoiements des deux personnages, incapables de vivre ni ensemble ni séparément, de savourer le temps présent sans le gâcher par des bouderies et des vexations puériles, sont rapidement lassants et empêchent de s’intéresser à l’évolution de la relation. Le personnage le plus fort du récit, c’est bien sur le père. Pascal Greggory est irréprochable dans son incarnation d’un homme qui tente de prendre avec élégance le terrible coup du sort qui le frappe par ce qui a le plus compté pour lui : impossibilité de lire, de réfléchir, de garder en mémoire. Sa façon de dire « oui » à tout sans jamais élever la voix est l’aspect le plus saillant du film. Mais contrairement à un film comme The Father qui nous faisait accompagner au plus près le malade dans la dégradation de sa condition, la mise en scène de Mia Hansen-Løve maintient le personnage du père comme perpétuellement secondaire, jamais saisi autrement que par le regard de sa fille. À défaut d’avoir réussi à choisir et à décentrer parmi le réel, Un beau matin reste superficiel dans la plupart de ses aspects, bien en-dessous des deux précédentes réussites de la cinéaste.
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