Sur le point de se faire virer de son logement, Stéphane prend contact avec Serge, son père biologique. Celui-ci accepte de la rencontrer et l’invite à déjeuner dans sa luxueuse demeure de Porquerolles. Stéphane y rencontre Louise, la femme de Serge, et Georges, leur fille…
Après Irréprochable et L’Heure de la sortie, deux films qui avaient fait très forte impression, on en attendait beaucoup du nouvel opus de Sébastien Marnier. Avec un titre très prometteur, le cinéaste clôture sa trilogie de thrillers autour de l’irruption d’un personnage dans un milieu très différent du sien. Après l’agente immobilière qui avait tenté une reconversion parisienne et le prof confronté à un groupe de jeunes élèves dans un nouvel établissement, voici l’ouvrière d’une conserverie qui surgit dans une famille de la grande bourgeoisie, avec la gêne que cela peut comporter, en témoigne la brillante scène de dialogue en split screen à la table du déjeuner.
S’il se veut un film de personnages, ou chacun(e) joue un rôle, évoquant indirectement le métier de comédien(ne), le thriller apparaît surtout comme un film d’ambiance. Non pas qu’il faille nier le talent et l’investissement du casting, en particulier la très belle palette féminine rassemblée sur trois générations (de la doyenne Dominique Blanc à la jeune Céleste Brunnquell), dont chacune a droit à ses morceaux de bravoure (on n’attendait pas forcément Doria Tillier au piano, et elle est particulièrement remarquable dans la tension des silences). Au centre, Laure Calamy tient sur ses épaules le nœud de l’intrigue avec l’aplomb qu’on lui connaît.
Mais quelque part, sur le papier, le scénario est relativement simple, s’inspirant des retrouvailles de la propre mère du réalisateur avec son père, d’un milieu social très différent. La suite est un jeu de poker menteur dont les trahisons constituent des moments réjouissants (l’audition au tribunal, dont le ratio resserré contracte l’attention pour préparer son effet), mais habitué(e)s par l’auteur à une plongée sans fard dans les turpitudes humaines, on aurait presque espéré que tout dérape encore davantage. À force de frapper fort, de nous assener des fins chocs comme des coups de massue qui nous laissent hébété(e)s au sortir de la salle, Sébastien Marnier nous a peut-être un peu trop bien dressé(e)s aux émotions fortes, de sorte que plus grand-chose ici ne nous atteint vraiment au-delà d’un vague malaise ou d’un plaisir cathartique.
En revanche, le réalisateur en met plein la vue par ses choix esthétiques. D’abord, celui de ce décor dingue, cette immense villa dans son jus, dont aucune pièce n’a nécessité une reconstitution en studio. Patiemment meublée de milliers d’objets par une équipe de décorateurs/trices et d’accessoiristes minutieux/ses, la maison paraît étouffer ses protagonistes sous l’avalanche oppressante des regards d’animaux empaillés, des collections empilées jusqu’au plafond, de la bimbeloterie hors de prix qui encombre chaque espace. Pour habiter cette demeure hors du commun, il fallait une diva, et Dominique Blanc s’offre une collection de looks improbables qui constitue une grande part du spectacle. En contraste, la vue sur la mer, nature calme quand l’humanité s’agite, sur laquelle le personnage de Jacques Weber attire à plusieurs reprises l’attention, et le décor dénudé de la prison, dont l’absence de mobilier et les murs gris constituent une autre forme d’oppression. L’habillage est aussi sonore, avec un sublime travail mené par Pierre Lapointe, qui s’initie avec brio à l’exercice de la musique de film. Le son organique, tantôt tendu, tantôt strident, jouant des synthés modernes ou des cordes façon Hitchcock, est l’un des meilleurs atouts pour captiver le public. Travail soigné juste assez grandiloquent pour évoquer toutes les mauvaises raisons qui peuvent souder une famille par la haine, L’Origine du mal est un bel exercice de style, dont on aurait espéré encore un peu plus de folie et de cruauté.
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