« Maria rêve », poèmes d’une femme de ménage

Maria est embauchée aux Beaux-Arts dans l’équipe de ménage. Elle rencontre Hubert, le gardien qui s’entraîne à danser comme Elvis, et Naomi, une étudiante qui travaille sur la féminité… 

Après quelques courts-métrages bricolés entre amis, le duo Lauriane Escaffre et Yvo Muller faisait son entrée dans la cour des grand(e)s avec Pile-Poil, auréolé en 2020 du César du meilleur court. D’emblée, on avait saisi le goût du duo pour des personnages que le monde voudrait résumer à leur profession : boucher, esthéticienne, et cette fois-ci gardien et femme de ménage. Dans un cinéma français peuplé des errements du cœur et de l’esprit de journalistes, d’avocats, de psychologues, de médecins, d’architectes… les métiers plus pratiques et concrets aux revenus plus modestes sont souvent réservés à un cinéma directement social, ou à des films tout entier construits autour d’un savoir-faire (Compagnons, Haute couture…). Ce qui frappe dans le cinéma de ce tandem, c’est la volonté d’offrir à des personnages d’un milieu modeste des destinées qui ne le sont pas forcément. En hommage à une grand-mère inspirant le personnage de Maria au début du film, Lauriane Escaffre a voulu lui donner une forme de revanche sur la vie. Le titre, aussi poétique que mystérieux, ne dit pas à quoi rêve Maria, mais lui conférer ce droit à la rêverie, c’est déjà braver en quelque sorte le déterminisme. Celui qu’incarne fugacement Muriel Combeau qui lui prédit la difficulté à retrouver un emploi, et ne la considère que comme une ombre qu’on oublierait presque de rémunérer.

La pétulante Karin Viard a dû ici travailler le sens de la retenue pour composer ce personnage féminin qui met du temps à s’épanouir. Maria est comme une fleur trop longtemps restée en bouton qui aurait oublié qu’elle pouvait déployer ses pétales. Et ce n’est pas son mari Oracio (Philippe Uchan), confit dans ses habitudes et sa rancune envers sa fille et son meilleur ami, qui se sont mis en couple, qui peut constituer le soleil et l’eau vive propices à la floraison. Ces deux éléments conjugués, qui vont contribuer à faire de Maria une femme neuve, prête à embrasser la vie à pleines dents, ce sont d’une part Hubert (Grégory Gadebois), gardien serviable, lui aussi poète mais d’une poésie matérielle, plus que verbale, qui ne s’autorise pas à viser l’ailleurs, et d’autre part Naomi (Noée Abita), jeune artiste qui tente d’exprimer dans ses œuvres le bouillonnement d’une féminité moderne. Le regard combiné, dont la douceur révèle à Maria les atouts de son corps et de son cœur, sont le déclenchement d’une révolution tranquille. Petit à petit, la femme secrète assume sa curiosité pour les œuvres contemporaines qui peuplent son lieu de travail, son inspiration poétique qui lui fait voir le quotidien d’une façon enchantée, son envie d’apprendre et de tester de nouvelles choses, même s’il peut s’agir d’une recette ratée.

Ce qui touche d’abord, c’est l’extrême bienveillance de l’écriture envers tous ses personnages. Même ceux qui sont un peu caricaturés, comme la directrice et le professeur franco-américain, ne sont jamais traités avec méchanceté, et en plus, les cinéastes se sont réservé ces rôles les moins franchement positifs. Ensuite, c’est l’incroyable créativité avec laquelle tous les espaces, toutes les œuvres et tous les décors sont employés pour faire naître une émotion. Parfois purement esthétique, comme la rencontre de Maria avec cette grande installation en lettres néon, parfois humaine voire physique, avec la salle de l’installation électronique sonore et visuelle. Pour nos yeux, c’est une surprise permanente, chaque salle des Beaux-Arts recelant de nouveaux trésors qui toujours contribuent à faire avancer les personnages dans leur cheminement. Parfois, on rit très franchement, parfois, on est au bord des larmes, et par instants, le film réussit cette prouesse rare de nous faire passer dans une même séquence par un mélange d’émotions, légère, érotique, grave, comme lors du passage dans le grenier aux plâtres. Ne manquant ni de souffle ni de finesse dans l’écriture, soutenue par des interprétations délicates et une mise en scène créative, rythmée par la bande-son délicieusement vintage, Maria rêve est encore une très belle preuve de ce que tout le cinéma français d’aujourd’hui peut réserver comme surprises.

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