À propos de Joan – sélection Les Flamboyants
L’éditrice Joan, d’origine irlandaise, se souvient de sa jeunesse et de sa rencontre avec Doug, un jeune pickpocket dont elle s’était éprise…
Laurent Larivière a mis six ans après son premier long-métrage Je suis un soldat pour revenir. Son nouveau film est également un portrait de femme, original dans sa construction. Il débute par une scène en voiture face caméra qui brise le quatrième mur, Joan (Isabelle Huppert) s’introduisant elle-même aux spectateurs/trices en expliquant la prononciation et l’origine de son prénom. Très vite sont abordés les sujets qui vont rester capitaux tout au long du film : son rapport avec le couple formé par ses parents et ses amours.
Alternant les flashbacks de différentes époques, le film fait fi de tout réalisme en choisissant des personnages qui ne se ressemblent pas du tout aux différents âges de la vie, à la fois par le choix physique de leurs interprètes et par leur comportement. Isabelle Huppert jeune est jouée par Freya Mavor, avec laquelle elle n’a guère que la rousseur en commun. Les scènes autour de la jeunesse de ce personnage sont assez charmantes et touchantes, et mettent en valeur la splendeur des paysages d’Irlande, mais de manière brève. Car le film ne va jamais là où on l’attend, le scénario ouvrant une nouvelle piste en présentant les parents de la protagoniste et en s octroyant un large détour au sujet des amours maternelles, avec notamment une scène issue de l’imagination de la protagoniste et du folklore érotique japonais (il est question de tentacules…).
Mais la grossesse surprise du personnage de Joan fait basculer le film dans une réflexion sur les aléas de la maternité, a fortiori quand celle-ci arrive de manière accidentelle à une très jeune femme. Trois acteurs se succèdent pour donner vie aux différents âges à Nathan, cet enfant dont sa mère a caché l’existence à son père biologique et qui semble être devenu le centre autour duquel toute la vie de Joan gravite, malgré un caractère en apparence très libre et un comportement de mère copine en particulier lorsque le jeune homme atteint l’âge des premières fois. En dépit de passages relativement fantasques voire drôles, c’est bien dans un drame que nous entraîne Laurent Larivière, comme on le comprend dans la dernière partie du film, qui lève le voile sur toutes les bizarreries qu’on pouvait constater dans les relations entre les personnages et y apporte des résolutions plus ou moins satisfaisantes, pas forcément originales mais qu’on n’a pas vu venir pour autant.
Les Amandiers – avant-première
Pour Stella, qui rêve de devenir actrice, l’audition pour l’école du théâtre des Amandiers est une chance à ne pas manquer. Elle rencontre lors du stage final une quarantaine de jeunes dont seule une poignée aura le privilège d’entrer dans l’école de Patrice Chéreau et Pierre Romans…
Valeria Bruni-Tedeschi s’inspire de ses souvenirs de jeunesse pour réaliser le portrait d’une actrice en devenir qui s’inscrit plus largement dans celui de toute une promo de l’école du théâtre des Amandiers. Puisqu’on parle de théâtre, l’individu n’est que difficilement détachable du groupe, et on est évidemment rapidement du côté du film de troupe. C’est d’ailleurs ce qui fait la force et le succès du long-métrage : même si certains profils sont davantage mis en avant que d’autres, il ne s’agit pas d’opposer les talents et de les faire rentrer dans une rivalité, ni de mettre le focus sur la personnalité de Patrice Chéreau et Pierre Romans.
À cet égard, les scène inaugurale des auditions puis celles des répétitions de Platonov sont à la fois les plus intéressantes d’un point de vue quasi documentaire et les plus drôles et vivantes (bien que parfois d’une certaine cruauté). On pense à Guermantes qui nous infiltrait dans le quotidien de la troupe de la Comédie-Française, et on retrouve bien ce mélange d’exigence au travail mais aussi de camaraderie qui unit les membre du groupe, alors même que ceux-ci peuvent être également liés par d’autres types de relations. En suivant particulièrement Stella, jeune fille exaltée, à l’instar de beaucoup de membres du groupe, qui ne se caractérisent pas par leur tempérance, le long-métrage double le film d’initiation théâtral d’une romance tourmentée et dramatique. Courtisée par Victor (Vassili Schneider) et Etienne (Sofiane Bennacer), la jeune fille de bonne famille, qui bénéficie de son propre studio mais peut aussi trouver refuge dans le grand manoir familial où l’accueille un majordome plein de sollicitude, choisit le jeune homme d’extraction modeste, touchée par l’amour revendiqué de celui-ci pour sa mère et par son caractère fougueux et mélancolique. Etienne incarne en quelque sorte l’archétype de l’artiste maudit qui crame sa vie par les deux bouts entre paris stupides, vitesse, violence et drogue. Un personnage parfois peu sympathique qui prend peut-être un peu trop de place dans le récit en comparaison de personnages secondaires plus attachants.
À travers eux, c’est aussi toute une époque que retranscrit la cinéaste, celle des années 80 où à la liberté sexuelle issue des seventies s’opposent les dangers de la contamination au VIH. Une époque où l’insouciance de la jeunesse, qu’incarne à merveille le sourire encore enfantin de Nadia Tereszkiewicz, se heurte à la réalité d’un monde qui sort des Trente Glorieuses. À la fois drôle, frais mais aussi tragique et par moments limite dans les comportements de ses personnages (en particulier en termes de consentement), Les Amandiers ne manque ni de vitalité ni de souffle, et son rythme emporté s’accorde à celui de la vie de ses personnages, vécue dans l’urgence. On pressent que ce rôle ouvrira grand les portes de « la grande famille du cinéma français » à Nadia Tereszkiewicz, qui crève l’écran.
Rue des dames – sélection Nouveaux regards

Mia, employée dans un salon de manucure, découvre qu’elle attend un enfant de son compagnon, en liberté conditionnelle. Elle a besoin d’argent pour trouver un appartement pour abriter sa famille à venir…
Les rappeurs du groupe la Rumeur, Hamé et Ekoué, reviennent à la réalisation, toujours dans l’optique de raconter un Paris réaliste et populaire. Cette fois-ci, ce qui les inspire, c’est la Rue des dames, entre le 17e et le 18e arrondissement, occupée par de petits commerces, et notamment des salons de beauté. Alors que sa compagne vient y faire sa manucure régulièrement, l’un des deux à l’idée de s’interroger sur le quotidien des employés du salon. On peut s’attendre à une chronique sociale classique, autour de personnages précaires, en particulier celui de Garance Marillier, que l’on suit plus précisément et qui est de presque tous les plans.
On aurait d’ailleurs bien aimé voir un peu plus du quotidien normal d’un de ces salons de beauté, des rapports avec la clientèle, des discussions qui peuvent y avoir lieu comme dans un salon de coiffure. Mais le scénario s’embarque rapidement du côté du film d’arnaque, faisant de sa protagoniste le rouage d’un genre de marché dans lequel des clientes de son salon avides de paillettes paient pour entrer dans des soirées privées où côtoyer des célébrités. Par bribes d’information, on finit par comprendre que l’une d’elles a été mise enceinte par un footballeur célèbre, dont la crainte de voir l’affaire sortir dans la presse va mener à une escalade qui met en danger Mia, mais dont elle pourrait aussi essayer de tirer profit financier.
Si on peut saluer le jeu très réaliste de l’ensemble du casting et une certaine tension et nervosité à la réalisation, on reste quand même un peu circonspect(e) devant les choix d’écriture. Pour un long-métrage qui souhaitait mettre en avant des personnages rarement montrés à l’écran, à la fois parce que précaires et parce que issus d’un melting-pot, on ne peut pas dire que le film évite les clichés qui associent des populations de certains quartiers à des pratiques illégales : tous les personnages sont impliqués dans un trafic quelconque, personne ne semble gagner sa vie honnêtement. Et ce n’est certainement pas le personnage de Sandor Funtek, représentant de la police, qui va venir apporter davantage de droiture et d’honnêteté au film. En revanche, le scénario montre bien à quel point une fois dans la galère, il demeure extrêmement difficile d’en sortir.
Les Cyclades – avant-première

Après un divorce et une dépression, Blandine est poussée par son fils à renouer avec son amie d’enfance, Magalie. Mais les deux femmes sont devenues encore plus différentes qu’à l’époque où elles rêvaient de fuguer sur les traces du Grand Bleu…
Dans une filmographie éclectique où l’on trouve aussi bien des pépites assez fines et bien interprétées telles que Maman à tort que des comédies populaires comme Selfie, Marc Fitoussi revient avec un hybride. Avec Olivia Côte et Laure Calamy comme têtes d’affiche, Les Cyclades est définitivement une comédie qui peut attirer le grand public, mais pour autant on est plutôt agréablement surpris(e) par la qualité de l’écriture des personnages et le traitement de certains sujets.
Le voyage en Grèce qui donne son titre au film est moins le sujet réel de l’histoire (pour évoquer le quotidien des Grecs, en particulier depuis la crise, et le rapport avec les Français(es), on préférera plutôt I Love Greece) que le décor, certes solaire avec d’impressionnants paysages maritimes ou semi-désertiques, a une histoire d’amitié féminine. Le film fonctionne d’abord d’une façon assez classique sur l’opposition de deux caractères : Blandine, enfant sage devenue une femme triste après son divorce, peu sociable et souvent inquiète, retrouve la pétulante Magalie, qui dans leur jeunesse l’entraînait pour faire les 400 coups et qui aujourd’hui fauchée comme les blés profite de l’opportunité d’un voyage tout frais payés. Ce sont deux visions de la vie qui s’affrontent, l’une qui apprécie le confort et la prévoyance, l’autre avide d’aventure dans tous les sens du terme, et si c’est un classique des films de voyage, ça fonctionne à merveille grâce à l’abattage de ses deux comédiennes. Alors que son autre apparition au Festival du film francophone d’Angoulême dans Annie Colère a donné l’opportunité à Laure Calamy de montrer une facette plus en retenue, elle retrouve ici une partition qui lui permet de bouffer l’écran et d’incarner l’exubérance.
Le film réussit à dépasser le clivage à partir du moment où il introduit un 3e personnage féminin, et se paye le luxe de faire jouer sa créatrice de bijoux par Kristin Scott Thomas. Toujours délicieuse, celle-ci prône une philosophie de vie axée sur la joie et le plaisir, mais c’est par son personnage que celui d’Olivia Côte comprend que sembler écervelée ne veut pas forcément dire ne connaître aucun traumatisme. Si « l’humour est la politesse du désespoir », la joie de vivre peut être aussi une façon de mettre au placard des problèmes graves. Réellement drôle dans ses dialogues et son comique de situation, Les Cyclades n’en est pas moins assez touchant dans son amitié féminine au-delà des différences de tempérament. Pas une histoire révolutionnaire, mais un film grand public de bonne facture, qui parvient à faire rire sans jamais taper méchamment sur personne.
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