Les secrets de mon père – sélection Les Flamboyants
Michel et son petit frère aimeraient savoir ce que leur père mijote pendant des heures dans son bureau. Le secret vient peu à peu entacher les relations familiales…
À près de 90 ans, la productrice Véra Belmont s’attaque à sa première réalisation d’animation. Un pari audacieux qui naît de sa découverte, il y a quelques années, de la bande dessinée autobiographique de Michel Kichka, dans laquelle il raconte son enfance nourrie par le secret entretenu par son père sur son expérience dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le style d’animation mêle des décors le plus souvent photoréalistes, en tout cas en extérieur, et des personnages dessinés au trait, dans un style de bande dessinée classique mais expressif, pas si loin de celui du compatriote de l’auteur, Hergé. Ce qui peut apparaître au début comme une banale chronique d’enfance en famille, avec notamment les scènes de dîner ponctuées par les rébellions de la sœur aînée, se mue petit à petit en drame sur le poids du secret et de l’héritage pour les enfants de déporté(e)s. Ainsi, des images d’archives en photo et en vidéo sont subtilement insérées, par exemple dans un poste de télévision diffusant dans un café le procès Eichmann. Le scénario interroge la difficulté pour les survivant(e)s de parler de ce qu’ils/elles ont vécu, en particulier à la génération suivante. Entre désir de protéger l’innocence de ses enfants et besoin de rendre hommage à ses proches disparus à Auschwitz, le personnage du père se retrouve tiraillé, scindé entre deux facettes : l’homme public qui participe activement au devoir de mémoire, qui prend peu à peu le dessus sur le père de famille. D’abord très présent pour son fils, prenant le temps de lui apprendre à se perfectionner en dessin ou se réjouissant de ses bons résultats, il devient de plus en plus préoccupé par le passé et absent, ce qui affecte particulièrement son fils cadet Charlie.
Bien que relativement pudique sur ses aspects les plus tragiques, qu’il s’agisse des tragédies de l’Histoire ou de drames plus intimes, le film n’en reste pas moins dur et pas forcément facile à comprendre pour un jeune public auquel il manquerait des clés d’analyse. En revanche pour aborder avec des préados de l’âge du personnage principal les difficultés et l’importance du devoir de mémoire, le film peut se révéler une bonne porte d’entrée. Il reste également plus facile d’accès dans son aspect chronique familiale d’une jeunesse juive entre respect du passé et valeurs modernes.
Arlette – compétition
Arlette Saint-Amour, rédactrice en chef d’un célèbre magazine de mode, se voit proposer par le Premier ministre québécois le poste de Ministre de la culture, qu’elle accepte sans réfléchir…
La scénariste Marie Vien, qui a officié comme attachée de presse de la ministre de la culture canadienne au début des années 90, a mûri pendant plus de 10 ans un projet de scénario inspiré de ses aventures politiques. Un projet si ambitieux qu’il a fait peur à de nombreux cinéastes avant de tomber dans les mains de Mariloup Wolfe. Pour incarner l’ambitieuse et néanmoins naïve Arlette, la cinéaste fait appel à la très controversée Maripier Morin, qui avait fait ses débuts avec panache chez Denys Arcand (La chute de l’empire américain). Elle-même issue du milieu de la télévision et des médias, elle est bien placée pour jouer la styliste et journaliste spécialisée dans la mode qui se retrouve propulsée dans le panier de crabes du gouvernement canadien. Présenté comme un roman d’apprentissage chapitré non sans ironie et à grand renfort de bruitages, le film évoque la vie politique contemporaine sous le prisme d’un parallèle avec une cour royale époque Louis XIV, à la fois grâce aux informations de la voix off mais aussi dans le choix d’une esthétique baroque et flamboyante qui ne craint pas l’excès. Les décors réels de l’assemblée, qui ont nécessité de nombreuses autorisations et une grosse préparation pour y tourner, sont magnifiés et rendus d’autant plus impressionnants par des jeux d’éclairage et de symétrie, le personnage d’Arlette bénéficie d’une garde-robe impressionnante, dont une tenue d’époque pour une séance photo, et la bande-son puise copieusement dans les répertoires baroque et classique pour surligner ses intentions.
On est clairement dans une satire du pouvoir, mais au-delà, le film trouve un intérêt supplémentaire lorsque son personnage principal décide de prendre son rôle réellement au sérieux et de s’engager concrètement pour la défense des artistes. Tant par orgueil que par conviction, Arlette refuse de s’en tenir à un rôle secondaire de potiche du Premier ministre et se mette à dos le sadique ministre des Finances (David La Haye). Sont alors évoqués en pagaille la défense de la culture québécoise et de la langue française, la place quasi sacrée du livre, les relations avec les médias…
Bourré de rebondissements et d’énergie, et même de quelques surprises de casting (l’interprète de la ministre française en visite), le scénario nous capte rapidement et le charme mi-candide mi-vénéneux d’Arlette fait son effet. On souhaite évidemment savoir si la novice réussira à faire sa place parmi les loups, et d’autant plus quand le clivage entre partis est redoublé d’un enjeu féministe. Vraie comédie, volontiers tordante, cette Arlette ne manque ni de fonds politique (la réflexion sur l’austérité) ni de faste dans la forme. Une surprise de taille pour les spectateurs/trices français(es).
Amore mio – sélection Nouveaux regards
Lorsque Raph meurt d’un accident de moto, sa veuve refuse d’assister à l’enterrement et demande à sa sœur de les emmener en voiture, elle et son fils, loin de tout ça…
Après son court-métrage Mon Royaume qui évoquait le deuil par le prisme d’un lieu à quitter, qu’il faut vider de tous les souvenirs, Guillaume Gouix est passé à la réalisation de long-métrage toujours autour de ce même thème mais cette fois dans l’errance. On ne verra pas le lieu où la famille a vécu heureuse, à peine l’aperçoit-on dans une séquence d’ouverture filmée au téléphone portable de manière intradiégétique par un jeune Raph (Félix Maritaud) encore bien vivant, et que son fils se repasse en boucle désormais. Tout de suite, c’est un cinéma marqué par le mouvement, celui de ses personnages qui cherchent à fuir la douleur sur la route, se lançant dans un road trip absolument impréparé et imprévisible, mais aussi celui de la caméra, toujours à l’épaule et permettant de suivre au plus près ces personnages, produisant une image tourbillonnante est tressautante, qui viendrait presque donner le tournis mais produit une immersion certaine.
Alysson Paradis et Elodie Bouchez composent un binôme de sœurs que le temps et des choix différents ont éloignées, dont on découvre peu à peu que le bonheur et le malheur sont comme des vases communicants. Leur relation, entre crises, pudeur concernant les émotions, et moments de complicité enfantine qui ressurgit quand on s’y attend le moins, est pour le moins intense. C’est un cinéma à la Dolan, qui évoque la famille comme le lieu de tous les excès émotionnels, d’un amour d’autant plus brûlant qu’il est inexprimé et de tensions qui peuvent facilement dégénérer. L’atmosphère du film est à mi-chemin entre quelque chose de léger comme un départ en vacances, une échappée belle parfois solaire, et le poids du chagrin qui vient comme une chape de plomb retomber régulièrement sur Lola et son fils. Le petit Viggo Ferreira-Redier est formidable surtout dans ses moments de gravité, et Alysson Paradis n’a jamais été aussi bien filmée, irradiant d’une vitalité qui déborde malgré sa douleur.
Nos frangins – sélection Les Flamboyants
Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en pleine période de manifestations contre le projet Devaquet sur la sélection à l’entrée de l’université, Malik Oussekine, étudiant de 22 ans, est tué es par des policiers à moto. La même nuit, Abdel, 20 ans, qui tentait de séparer deux jeunes en train de se battre, reçoit une balle d’un policier ivre…
Rachid Bouchareb n’a jamais eu peur des sujets sensibles, il l’avait déjà largement prouvé à l’époque d’Indigènes, le film qui a fait son succès. Le cinéaste a longtemps gardé avec lui l’envie de rendre hommage à Abdel et Malik à sa façon, et a trouvé soudain au tournant des années 2000, peut-être en lien avec l’actualité et les grandes manifestations de gilets jaunes durement réprimées, que le moment était venu.
Pourtant il n’évoque pas tant les mouvements sociaux, ou la révolte qui a suivi la révélation de la façon dont les deux jeunes hommes avaient trouvé la mort, que l’aspect intime de ces deux drames. Deux familles brutalement endeuillées, auxquelles la vérité a été d’abord cachée, dans une volonté d’étouffer ce qui apparaît franchement comme des bavures policières, voire des meurtres gratuits. D’un côté, Samir Guesmi et Laïs Salameh, père et frère d’Abdel, confrontés à un silence de plomb et à un mensonge selon lequel Abdel aurait été pris en charge par le Samu et conduit dans un hôpital pour être soigné. Dans cette famille où l’on parle peu, où le milieu modeste se traduit par les véhicules toujours à moitié en panne, où l’on a éduqué les enfants à bien se comporter et à ne pas s’attirer d’ennui, le père souhaite d’abord respecter les règles, alors que son fils pressent qu’il faut aller réclamer fermement la vérité pour que celle-ci finisse par éclater. De l’autre, Reda Kateb et Lyna Koudri incarnent un frère et une sœur présent(e)s et inquiet(e)s pour Malik, petit dernier atteint de problèmes de santé qu’une greffe de rein devait venir alléger quelques jours plus tard. Dans une atmosphère intimiste et lourde, une esthétique aux teintes grises et froides et une lenteur volontaire qui étire le temps de l’attente et de l’angoisse, l’emploi de nombreuses images d’archives vient créer un contrepoint bruyant, agité, violent. Le cinéaste réussit à tourner certaines scènes de fiction non pas en 16/9e comme l’ensemble du film mais en 4/3 comme les séquences d’archives, brouillant les pistes entre le vrai et la reconstitution. Il en résulte une forte impression d’authenticité qui rend d’autant plus tragique cette histoire et d’autant plus choquant le comportement des policiers. Raphaël Personnaz endosse le mauvais rôle : après avoir incarné un flic tenace et investi dans L’affaire SK1, le voici en bon petit soldat de l’IGS capable de mentir éhontément à la famille des victimes pour protéger l’institution. Voilà un long-métrage dont la diffusion devrait faire couler de l’encre et rappeler l’importance de la lutte contre les violences policières.
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