« La dérive des continents (au sud) », l’Europe, une histoire de famille

En mission pour l’union européenne en Sicile, où elle doit préparer la visite de Macron et Merkel dans un camp de réfugiés de Catane, Nathalie Adler tombe par hasard sur son fils qu’elle n’a pas vu depuis des années, bénévole pour une association humanitaire…

Pour un cinéaste suisse, Lionel Baier a une passion originale : l’Europe. Fervent défenseur de la construction européenne, ce qui ne l’empêche pas d’en constater certaines erreurs ou errances, il lui consacre progressivement une tétralogie débutée en 2006. Suivant les quatre points cardinaux, La Dérive des continents est le troisième film sur ce sujet, dont le sous-titre, (au sud), marque à la fois la position géographique en Sicile, mais également la thématique. En effet, il est question de l’accueil des migrants venus d’Afrique en bateau, donc des pays du Sud, par les pays du Nord, et en l’occurrence par l’Union européenne. Si l’immigration a déjà donné lieu à un certain nombre de longs-métrages, la thématique est souvent traitée de manière dramatique ou tragique, en se focalisant sur les réfugiés eux-mêmes ou sur les bénévoles qui les accompagnent (on peut penser à Welcome ou à Ils sont vivants par exemple). En choisissant de s’attaquer à un aspect plus bureaucratique et administratif, Lionel Baier fait entrer son intrigue du côté de la satire façon « maison des fous », avec des situations ubuesques et un jargon publicitaire, en grande partie débité par Tom Villa, assez drôle en trop sérieux émissaire d’un président français qui en prend pas mal pour son grade.

À la cruauté de la situation et de sa couverture politique et médiatique (la réflexion sur le marchand de glaces qui outre Nathalie dans la scène d’ouverture) s’oppose l’étonnant discours engagé d’une jeune réfugiée, qui paraît surgir de nulle part à la fin du film. Entre les deux, il y a les atermoiements liés à une organisation soumise au calendrier européen, l’absurdité fondamentale des demandes des deux émissaires, même si le personnage d’Ursina Lardi apparaît beaucoup moins hors-sol que son compatriote français, et une histoire intime. Si Charlan se présente comme « la France », composant avec Ute une métaphore savoureuse du « couple franco-allemand », Nathalie incarne l’Europe, une mère décevante pour ses enfants. Si beaucoup de jeunes européen(ne)s se définissent aujourd’hui comme tel(le)s, nombreux/ses sont celles et ceux qui considèrent les engagements de l’Union européenne souvent insuffisants sur de grands sujets tels que l’écologie ou les relations internationales. À l’échelle intime, cela donne la rancœur d’un fils dont elle a cru respecter le choix on ne le voyant pas pendant des années et qui a eu l’impression qu’elle l’abandonnait. L’acteur canadien Théodore Pellerin trouve ici un rôle un peu moins adolescent au fil du long-métrage que dans les films où on avait pu l’observer précédemment, comme Genèse, où Lionel Baier l’a d’ailleurs découvert. S’il se comporte d’abord comme un ado rebelle avec ses morceaux de rap, il apprend petit à petit à prendre le temps d’écouter et de connaître sa mère, en dépit du chagrin qu’elle lui a causé, et la relation complexe qui se noue entre elle et lui donne lieu à de très jolies scènes qui mettent un peu de côté la comédie, par exemple le discours nocturne et surtout l’ouverture de l’entrepôt, un des plus beaux plans poétiques de l’année.

Pour accompagner son ton de satire jouant de l’absurde, le cinéaste offre d’autres beaux plans dans des lieux singuliers comme le village détruit par une catastrophe naturelle et recouvert tout en blanc par un artiste contemporain, mais a aussi le recours au fantastique quand cela sert son propos. De ce fait, le film trouve toujours un moyen de dérouter les spectateurs/trices, de surprendre, sans parfois qu’on sache très bien où il veut en venir et pourquoi il a pris telle ou telle option. Jusqu’au bout, c’est la philosophie de Nathalie qui est reflétée par les événements : la vie est faite de surprises, mais c’est à nous de les considérer comme bonnes ou mauvaises.

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