Enfant timide, adolescent gauche, Arthur est encombré de son corps. Lorsqu’un copain l’emmène découvrir la nouvelle boîte de nuit tenue par son oncle, le gamin est extrêmement mal à l’aise. Pourtant, plus tard, il y retourne…
On avait repéré la plume de Victor Jestin en 2019 avec La Chaleur, premier roman prometteur dans lequel il se glissait dans la peau d’un ado meurtrier. Trois ans plus tard, les plages écrasées de soleil du sud ont laissé la place à une petite ville des bords de Loire qui n’est pas nommée, et le portrait d’Arthur est d’abord celui d’une adolescence de province. Au départ, on n’est pas si loin de Petite Solange, le portrait nantais d’Axelle Ropert. Une vie moyenne, dans une famille aimante mais pas toujours adroite pour communiquer, une personnalité sensible qui peine à se fondre dans le moule, déjà comme écrasée par le poids du monde et de la conscience des difficultés relationnelles.
De chapitre un chapitre, le temps s’écoule et chaque partie est l’occasion de croiser de nouveaux personnages qui ne font que passer dans la vie d’Arthur. De camarades qui l’entraînent sur la piste à des filles qu’il rêve de présenter à ses parents, tous ces personnages ont un point commun : Arthur les fréquente sur la piste de La Plage. Par un étrange phénomène de la haine à l’amour, le jeune homme qui s’est senti si humilié enfant dans la boîte de nuit flambant neuve y revient jusqu’à en faire le centre de son existence. Ce lieu d’exclusion, où il s’est senti si peu en confiance, si peu à la hauteur en tant que piètre danseur, devient son QG, là où il fait partie des meubles et où tout le monde le reconnaît, une fois sa technique de danse perfectionnée. L’homme qui danse évoque certes la solitude contemporaine, la difficulté au tournant des années 2000 à faire des rencontres dans un monde où tout s’accélère et se numérise. Mais c’est aussi un éloge de l’expression corporelle, d’un moyen de communication autre que la parole qui permet, si on n’y accole pas d’arrière-pensées, une communion de la foule quasi religieuse, en tout cas mystique. La libération du corps, c’est aussi son entretien physique : pour Arthur, de façon assez classique, la réconciliation avec son corps passe par la musculation et la création d’une apparence plus valorisée par le regard social. Ce n’est pas tant pour être fort et s’entretenir, comme il le dit pourtant lorsqu’il pousse les portes de la salle de sport, que pour accepter le regard des autres sur lui-même qu’Arthur se transforme.
Comme dans La Chaleur, passer tout le récit dans les pensées d’un unique protagoniste, qui lui-même se sent séparé du monde, conduit à une forme d’hypnose littéraire, une petite musique qui nous trotte dans la tête entre les pages et nous y ramène, comme la force qui reconduit chaque soir Arthur vers La Plage. Il y a quelque chose d’addictif, c’est sûr, dans la plume de Victor Jestin, alors même que ce qui est décrit a de quoi mettre mal à l’aise, partageant le mélange d’inquiétude et de commisération éprouvé par Alicia, la barmaid. Consacrer toute sa vie à une boîte de nuit, ce n’est pas normal, mais la norme rend-elle plus heureux ? Cette vie pas comme les autres devient finalement banale par son absurdité même. Et plus Arthur s’accroche à sa routine, plus on peut éprouver de l’attachement pour lui. À tout prendre, et contrairement à son premier roman, ce portrait d’un drôle de type pourrait être celui d’un mec bien.
J’avais été bluffée par La chaleur, je mise beaucoup sur celui ci +