L’avant-veille du mariage de Sophia, fille d’un couple grec financièrement sur le déclin, l’homme à tout faire de la maison découvre dans la remise un gros oiseau coloré qui ressemble à un dodo, espèce disparue depuis trois mille ans…
Le cinéaste Panos H. Koutras s’était fait connaître à la fin des années 90 avec un film au titre complètement barré, L’Attaque de la moussaka géante. Après avoir largement diversifié sa filmographie en quelques titres, il revient à son goût premier pour l’absurde avec Dodo.
L’ouverture nous entraîne dans une fuite à hauteur de l’animal, en caméra subjective, qui capte la curiosité d’emblée. Et par la suite nous voilà plongé(e)s in medias res dans les préparatifs du mariage, à la suite de ce grand groupe de personnages (14 protagonistes tout de même !) dont l’effervescence ne laisse aucun répit et nous force à suivre le rythme, attrapant au passage des bribes d’informations sur les relations qui les unissent et leurs enjeux respectifs.
Dans la nuit tombée sur la grande maison entourée d’un jardin dont un trou dans le mur permet les intrusions, chaque porte close semble receler un secret, qu’il s’agisse d’un adultère, d’une trahison, d’un projet. L’irruption du dodo va constituer une sorte de révélateur, faisant de l’animal, acculé dans la cheminée cernée de chaises et objets faisant office de barrières, au centre de tous les regards des personnages rassemblés dans le salon, un genre d’Hercule Poirot sans la parole, dont la seule présence suffit à faire monter la tension et mettre sur la table tous les problèmes sous-jacents de la famille et de ses employé(e)s. C’est presque un Cluedo de l’absurde qui nous est offert, sauf qu’au lieu de chercher le coupable d’un meurtre, il s’agit de savoir d’où vient le dodo, qui l’a laissé entrer, ce que signifie sa présence et comment s’en débarrasser.
L’animal lui-même, réalisé en CGI, un procédé au résultat parfois très douteux visuellement, est plutôt réussi, avec un visuel coloré et expressif, à la fois source d’hilarité par ses égosillements et sa démarche dandinesque, mais aussi touchant par ses cris déchirants et son regard éloquent. L’intrigue se déroule par boucles qui nous font suivre quelques personnages allant dans telle ou telle pièce, voire dans le jardin, pour revenir à chaque fois au dodo avant de repartir sur une autre branche de l’histoire. Ces points de rencontre avec l’animal, qui paraît de plus en plus mal en point, sont comme des étapes qui permettent de garder une cohérence dans une œuvre relativement foisonnante.
Comme tous les films grecs récents, et 2022 nous a gâté sur ce point (Broadway, I Love Greece), Dodo trouve une façon d’aborder les conséquences de la crise économique et de la politique d’austérité sur la population. La famille centrale, autrefois prospère, fruit de l’union entre un homme d’affaires et une ancienne star de la télé, se trouve taraudée par le manque d’argent, comme dans I love Greece ou les parents n’ont d’autre choix que de vendre leur maison de famille. Mais l’intrigue trouve aussi l’occasion d’évoquer les tromperies amoureuses et la filiation cachée, les romances queers, la protection des animaux, la peur de l’engagement, la relation employé(e)-patron(ne), ou encore la question des réfugié(e)s. Et malgré toutes ces thématiques parfois douloureuses, le long-métrage parvient toujours à garder une forme de légèreté dans sa tonalité et dans le jeu de son casting, en particulier féminin, nourri par l’imagerie d’Alice au pays des merveilles, d’où semble s’être échappé le dodo. Sorte de conte ultracontemporain, Dodo a de quoi surprendre et prouve une fois de plus la grande vitalité du cinéma hellénique.
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