Une ingénieure du son passionnée par son travail est sujette à d’étranges crises durant lesquelles elle entend le son en décalé. L’une d’elles lui fait perdre son emploi et retourner vivre chez sa mère, qui cache un secret de famille…
En faisant naître l’idée du concept central de son film, le cinéaste espagnol Juanjo Giménez Peña ignorait qu’il s’agissait d’une vraie condition médicale, dont il a par la suite trouvé des exemples. Il est tout à fait possible, comme le personnage incarné par la toujours intense et énigmatique Marta Nieto (Madre), de subir des crises de désynchronisation, et même de s’y habituer et de mener une vie relativement normale.
Mais dans le film, c’est singularité est traitée comme un fardeau qui s’abat sur un personnage déjà solitaire et traînant des problèmes non réglés. Présentée dès l’ouverture seule dans son bureau sans fenêtre, refusant de le quitter pour rentrer dormir dans l’appartement dont elle doit rendre les clés, on voit bien que c’est une femme qui n’a que son métier pour tenir. Or ce phénomène de désynchronisation va en premier lieu affecter sa vie professionnelle, ce qui n’est pas un hasard mais l’occasion de la pousser à faire face à tout le reste. Le reste prend en réalité deux aspects, deux pistes entre lesquelles le film semble hésiter, ce qui lui confère une tonalité irrégulière, oscillant entre enquête familiale, thriller tendu, et romcom. D’un côté, il y a la quête de ses origines, dont elle refuse de parler ouvertement avec sa mère, mais qui travaille la protagoniste de façon souterraine, et pourrait expliquer l’origine de sa pathologie. De l’autre, son attirance pour son collègue (Miki Esparbé), seule personne à laquelle elle finit par accepter de confier ce qui lui arrive.
Ce qui relie ces deux pistes, c’est le traitement beaucoup plus sensoriel que narratif du parcours du personnage de Marta Nieto. Grâce à un extraordinaire travail du son, qui nous permet de changer de point de vue, parfois au cœur de la même scène, et réussit à nous immerger entièrement dans le vécu du personnage, le long-métrage crée une atmosphère perturbante et angoissante où le quotidien semble se distendre sous l’effet du décalage et où le moindre élément peut devenir une menace. Le film exploite à fond son concept, que ce soit pour évoquer une anxiété sociale probablement latente mais accrue par son problème où nous donner à voir les accidents que peut engendrer ce décalage sonore, mais aussi des éléments proches du quotidien des personnes sourdes, allant du côté de l’expérience du handicap. Mais il ne s’arrête pas là, car le scénario retourne la singularité de l’ingénieure du son pour en faire une forme de super-pouvoir. Le cinéaste évoque Thelma de Joachim Trier parmi ses influences, et on n’est aucunement surpris, car les deux œuvres ont en commun de considérer une maladie réelle comme un genre de manifestation surnaturelle donnée aux personnages pour s’émanciper. Ici, la bascule se fait au moment où la désynchronisation permet à la jeune femme d’entendre ce qui s’est dit dans un lieu avant qu’elle y entre. C’est là la clé pour résoudre ce qui la fait douter et enfin trouver un accord avec elle-même.
La gestion de la temporalité, totalement connectée au sujet du film, est également particulière à l’échelle de celui-ci, avec des moments assez lents et contemplatifs, des petites bulles de poésie telles que la scène du cinéma, et à d’autres, un rythme soutenu et porté par des percussions façon cœur qui s’emballe. L’ensemble est une curiosité cinématographique assez expérimentale dans son travail du son et de la mise en image qui l’accompagne, avec des choix de placements de caméra qui contribuent à l’immersion et à la fluidité entre les différents points de vue. Une des œuvres les plus intéressantes de cet été.
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