« La prunelle de mes yeux », si tu vois un jour que tu m’aimes

Theo et son frère, joueurs de musique grecque, emménagent dans un nouvel appartement. Ils ont pour voisines deux sœurs dont Élise, aveugle, avec laquelle Theo s’embrouille dans l’ascenseur…

Entre deux films plutôt dramatiques autour de la famille (Tirez la langue, mademoiselle, et Petite Solange), la cinéaste Axelle Ropert a voulu s’exercer à la comédie, avec une idée de départ particulièrement délicate et risquée. Inspirée par la mère d’une camarade de classe de son enfant, atteinte de cécité et qu’elle voyait à la sortie de l’école régulièrement, la réalisatrice se pique d’écrire un personnage de jamais de femme aveugle qui semble bien vivre son handicap, pour la confronter à un musicien grec dépressif. Il y a un côté un peu fourre-tout dans ce pitch mêlant beaucoup de sujets qui n’ont a priori pas grand-chose en commun : les relations entre frères ou sœurs, l’acceptation du handicap et le regard des autres au quotidien, la difficulté à trouver un emploi, le poids de l’héritage familial, la dépression et l’addiction, et au milieu de tout ça, autant de couples possibles qu’il y a de binômes de personnages.

Le point névralgique de l’œuvre, c’est le traitement de la cécité. Comme dans La famille Bélier, les personnes concernées par leur handicap sont incarnées par des acteurs et actrices valides, ici Mélanie Bernier et Swann Arlaud, alors même que le film contient un personnage qui se fait lui-même passer pour aveugle dans l’intrigue, Bastien Bouillon. Il y a une sorte de mise en abîme : Théo a-t-il le droit de jouer l’aveugle, que ce soit pour régler un conflit privé ou comme argument marketing professionnel ? Et si non, qu’est-ce qui donne le droit à ce film de faire jouer des aveugles à des personnes qui n’en sont pas ? À l’écriture, certains traits positifs côtoient des choses problématiques : il est très appréciable de mettre en avant une personne qui mène une vie relativement normale, n’est pas triste, parvient à vivre de façon autonome, à travailler, et avoir une relation amoureuse. Le caractère piquant et qui ne s’inscrit pas dans le cliché de la « gentille handicapée » du personnage d’Élise est une bonne idée. En même temps, la cécité est quand même employée comme un ressort comique à plusieurs reprises et même comme un prétexte pour susciter un rapprochement, ce qui pose certains problèmes éthiques. Le côté maladroit du long-métrage est accentué par le défaut de comédie : on perçoit la sensibilité de la cinéaste dans les moments où ses personnages sont tristes ou torturés, la capacité mélodramatique qu’elle a davantage explorée, et avec un certain succès, dans Petite Solange. Mais ici, le côté comique ne fonctionne globalement pas, en dépit d’un abattage du casting qu’on ne peut pas nier. Que les dialogues ne soient pas totalement réalistes et que certaines scènes soient vraiment décalées, comme avec le conseiller Pôle Emploi ou le passage dans le café des musiciens, n’est pas tant un problème que la structure globale qui se tient mal et enchaîne des éléments qui ne vont pas ensemble et manquent de cohérence. Par exemple, la relation d’Élise avec son métier n’est pas bien explicitée, on a l’impression qu’elle travaille avec son ami à accorder des pianos, puis d’un coup plus, sans qu’on sache ce qui s’est passé et ce qu’elle fait désormais. C’est comme si finalement rien de ce qui caractérise la vie des personnages n’avait réellement d’importance, que le petit jeu chien et chat entre les voisin(e)s.

De ce point de vue, le couple Bernier-Bouillon est plutôt charmant même si pas toujours bien servi par le texte, et les personnages secondaires auraient mérité une partition un peu plus conséquente et un peu moins clichée. C’est d’autant plus dommage qu’on trouve quelques pépites et vraies bonnes idées, comme les tags de l’enfant dans l’ascenseur, qui contribuent à donner des indications sur l’humeur et l’évolution de la relation entre les personnages. Le cadrage de ces scènes qui met en valeur ce sous-titre en blanc sur noir, rappelant pour le coup davantage les procédés à destination des personnes malentendantes qu’aveugles, offre un gimmick qui donne à penser que l’idée principale aurait peut-être davantage convenu à un format de série courte.

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