« Ricordi ? », les vases communicants  

Dans une fête, un jeune homme qui traîne des traumatismes d’enfance rencontre une jeune fille joyeuse. Même s’il craint que la passion des débuts ne dure pas, il entame une romance avec elle…

Six ans après un premier long-métrage en hiver à Venise, le cinéaste Valerio Mieli change à la fois de décor et de saison en installant son intrigue à Rome pour sa majeure partie, et en choisissant de faire débuter la romance pendant l’été, ce qui donne l’occasion de scènes romantiques sur la plage.

Le pitch pourrait sembler classique : après tout, on ne fait que suivre deux personnages depuis leur rencontre amoureuse jusqu’à des retrouvailles des années plus tard, après une période de couple et de séparation. Mais dans ce schéma simple et linéaire, le réalisateur choisi un biais particulier pour saisir non pas tant les faits que les impressions, les ressentis subjectifs de ses protagonistes. Le titre demande « te souviens-tu ? » et c’est là ce qui paraît le cœur de la relation entre les deux personnages. D’emblée, dès la première rencontre, il et elle s’interrogent sur leurs souvenirs les plus douloureux, et toute leur histoire va être vécue sous le prisme du souvenir. Celui-ci prend plusieurs aspects et plusieurs rôles au sein de la relation. D’abord, il y a les souvenirs qui ont précédé la rencontre, des souvenirs de jeunesse qui ont profondément modelé la personnalité de l’un comme de l’autre. Le personnage incarné par Luca Marinelli (Martin Eden) a surtout des souvenirs désagréables : des moments de honte à l’école ou en colonie de vacances, des disputes ou des humiliations familiales, un ensemble de flashs dans des coloris sombres et ternes, souvent baignés d’une lumière froide, dont chaque réminiscence semble être un élément d’un syndrome post-traumatique. À l’inverse, le personnage de Linda Caridi (Mamma + Mamma) paraît n’avoir que des souvenirs heureux, ou poétiques. Même lorsqu’elle évoque un souvenir triste tel que la mort de son grand-père, c’est toujours avec des couleurs vives et lumineuses, et la nature qui semble apaiser la souffrance. Les contraires s’attirent : la jeune étudiante en astrophysique pense pouvoir apprendre à son compagnon un peu de légèreté, et celui-ci aime justement la joie de vivre de sa compagne.

Mais à mesure que le couple crée des souvenirs en commun, ceux-ci prennent un rôle dans la construction de leur histoire : on comprend à un moment que le souvenir de leur première fois sur la plage leur sert à s’exciter au lit, et le couple raconte également des souvenirs à leurs proches qui participent à créer une forme de mythologie de leur histoire. Les souvenirs heureux des débuts semblent donc avoir pour objectif de donner et se donner l’image d’une relation parfaite, pleine de joie et de poésie, dont la passion ne doit jamais s’essouffler. Rattrapé par la réalité du quotidien, comme le jeune homme le craignait dès le début, le couple se voit alors confronté à un choix majeur : accepter de voir évoluer la relation et de créer de nouveaux souvenirs peut-être moins enflammés, ou mettre fin à leur union. Dans les grandes discussions idéologiques entre deux visions du monde qui s’affrontent, Ricordi ? rappelle 303, une autre histoire d’amour fondée sur la rencontre de deux personnalités différentes voire opposées. Mais le montage qui mêle en permanence des flashes du passé et de brèves séquences du quotidien donne moins de place au dialogue, qui semble là pour simplement contribuer à l’analyse de la question du souvenir.

Petit à petit, on en vient à s’interroger sur la véracité des souvenirs qui ont pu apparaître à l’écran : qu’est-ce qui est réel ? Le présent à l’instant T ? Le passé qui ne peut plus changer puisqu’il est passé ? Ou bien la vision fantasmée du passé ? De quoi se souvient-on vraiment, de ce qu’on a vécu, ou de ce qu’on voudrait avoir vécu ? La dernière partie du récit, plus triste, met en scène l’incommunicabilité réelle de la mémoire, qui reste propre à chacun(e). Même en vivant quelque chose ensemble, chaque personne en tire son propre ressenti et crée donc son propre souvenir, à la couleur différente de celui d’autrui. Le travail des couleurs justement, permet au cinéaste de montrer comment la proximité des personnages finit par engendrer une forme de contagion sentimentale : alors que lui apprend à se détacher quelque peu de sa tristesse et à profiter du quotidien, elle perd peu à peu de sa joie de vivre et se laisse gagner par une forme de mélancolie.

 

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