« Cœur croisé », sous mon sein la grenade

Sur une table de chevet, un soutien-gorge rouge cœur croisé. Dans cet appartement occupé par un couple se succèdent cinq femmes au fil de la journée…

La romancière espagnole Pilar Pujadas choisit avec Cœur croisé d’aborder la féminité à travers cinq personnages différents, reliés non pas tant par le Cœur croisé du titre, qui prend plus d’importance pour certains personnages que d’autres, que par une unité de lieu. Toute l’intrigue tourne autour d’un appartement, qui a été celui du couple formé par Laurent avec Ève, et abrite désormais les amours de celui-ci avec sa nouvelle compagne, Béatrice. De la femme de ménage venue prendre son service habituel, à la voisine à laquelle on a demandé un service, en passant par les femmes de la vie de Laurent, toutes se succèdent au fil de la journée et chacune nous raconte son histoire.

C’est une bonne idée que ce défilé féminin, auquel la présence de l’objet incongru sur la table de nuit vient rappeler des souvenirs ou faire émerger des réflexions, car ce panel permet d’aborder de nombreuses questions liées à la vie des femmes. Des questions intimes, forcément, puisque l’objet est situé dans la chambre à coucher du couple, des souvenirs de romance, de désir pas toujours assouvi et pas toujours légitime. La pièce de lingerie permet aussi une interrogation sur les rapports entre hommes et femmes, les atours des secondes attisant parfois les convoitises des premiers, et pas toujours dans un cadre désiré. Mais l’autrice sème le doute avec des portraits de femmes qui sont traversées d’envies contradictoires, entre pulsions quasi animales, dégoûts, angoisses et valeurs morales.

Des questions étonnamment professionnelles aussi, en particulier autour du personnage de la femme de ménage, qui cache un ancien emploi totalement différent, pour lequel elle portait un uniforme sans rapport avec sa tenue de technicienne de surface. Le soutien-gorge, c’est aussi une pièce de l’habillage, qui contribue à modeler la silhouette offerte aux regards d’autrui. Chez Béatrice, c’est le symbole d’un complexe hérité de sa mère qu’elle trimbale comme le poids des dissensions familiales et d’un regard cruel porté sur les femmes soumises au carcan des normes de beauté.

Ce regard des autres est également présent hors du cercle familial à travers l’histoire terrible de Marie-France, la mère de Laurent, qui en son temps a vécu des désirs d’émancipation vite rabroués par les quolibets et le qu’en-dira-t-on. De manière transverse, le récit évoque les pressions subies dans le milieu professionnel pour se conformer là aussi à certaines attentes qui dépassent le cadre des compétences attendues.

Ce qui frappe en avançant dans le récit, c’est à quel point le Cœur croisé réactive en chacune des blessures profondes, et profondément liées à leur féminité. Il faut attendre l’extrême fin du récit pour évoquer la blessure dans sa chair, mais celles de l’âme sont copieusement présentes. Ce qu’on perçoit aussi, c’est à quel point la compétition voulue par la société patriarcale entre les individus de genre féminin cause une source de rivalité qui n’attend que le moindre prétexte pour se réveiller. Loin de faire front et de se soutenir, les différents personnages présentés dans le livre ressentent les unes pour les autres des sentiments mêlés. Souvent la détestation de celle qui diffère, par sa classe sociale, son attitude, son rapport aux autres. Nous lecteurs/trices, nous savons qu’aucune n’est au-dessus de la mêlée, que chacune trimbale ses failles et ses doutes, et c’est sans doute ce qui manque aux autres personnages pour éprouver plus de sympathie et de compréhension. On peut parfois regretter que le roman ne creuse pas davantage certains aspects, et en particulier que sa fin soit aussi rapide, quasiment lapidaire, et trop légère par rapport au contenu de l’ensemble. On y trouverait presque dans certains aspects une forme de sexisme intégré, qui manque un peu de puissance d’analyse sur les mécanismes subis par les protagonistes. C’est à nous de compléter le travail de réflexion qui n’est pas forcément présent noir sur blanc dans le texte.

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