Mauvaises filles
Michèle, Éveline, Edith, Fabienne et tant d’autres ont été placés dans des maisons de correction dans les années 60 et 70. Elles reviennent sur cette expérience traumatisante…
La documentariste Émérance Dubas, jusqu’alors plutôt spécialisée dans les courts-métrages autour d’artistes, s’attaque à un sujet beaucoup plus social et politique pour son premier long-métrage. Alors qu’aujourd’hui encore le traitement des enfants placés, des familles d’accueil aux centres éducatifs fermés, cause de temps à autre le débat, elle interroge toute une génération de femmes passées par les ancêtres des structures actuelles. Il est notamment question des centres appelés « du bon Pasteur », tenus par des religieuses, dont l’un des établissements, laissé à l’abandon et tombant en ruines, sert de cadre à des plans d’illustration commentés par Edith en voix off. Sur fond de mur décrépi, d’escalier poussiéreux, de graffitis creusés dans le cachot, c’est tout un quotidien sans aucune tendresse mais avec force mauvais traitements et problèmes d’hygiène qui vient se présenter à nous.
Tantôt interrogées face caméra, tantôt suivies dans leurs démarches de reconstruction, qu’il s’agisse d’aller consulter leur dossier ou de transmettre leur récit à leur descendance, en particulier à leurs petite-filles, les femmes évoquent avec une certaine pudeur mais en dépassant leurs tabous ce passé qui ne passe pas. Une seule d’entre elles a été envoyée dans un de ces centres volontairement par sa mère, qui la jugeait trop difficile. Les autres sont arrivées là sans même comprendre comment, victimes d’un tribunal où elles n’ont pu assister ni se faire représenter par un avocat, ignorantes des faits qui leur étaient reprochés. La vie au Bon pasteur ou assimilé peut de loin ressembler à celle d’un pensionnat de jeunes filles, avec le port de l’uniforme et des cours pour aller jusqu’au certificat d’études et apprendre la couture. Mais tout est fait pour qu’aucune tendresse ne parvienne à ces enfants, entre le traitement extrêmement froid, quand ce n’est pas clairement brutal, infligé par les sœurs et la règle du vouvoiement entre les enfants pour éviter toute franche camaraderie. De plus, elles n’ont même pas de quoi satisfaire leurs besoins élémentaires : manque d’eau, manque d’hygiène, privation de liberté à la moindre incartade…
Parfois difficile à soutenir tant les éléments rapportés sont terribles, le film s’appesantit également sur les causes et les conséquences d’un tel placement, impliquant généralement des violences sexuelles perpétrées à l’encontre des très jeunes filles. Une libération de la parole sans doute nécessaire dont on aimerait qu’elle suscite une vraie remise en question des traitements des mineurs placés hors de leur famille.
Les Pires
Gabriel, cinéaste flamand, vient poser sa caméra à Boulogne-sur-Mer pour le tournage d’un film social. Il recrute des adolescents et enfants dans les établissements scolaires locaux…
Marquées par leur expérience d’accompagnement d’enfants sur des castings, Lise Akoka et Romane Gueret ont commencé à en faire leur sujet pour le court-métrage Chasse royale, dont l’accueil et le soutien de la productrice les ont poussées à continuer à creuser ce sujet. Leur premier long, Les Pires, met en abîme un tournage de cinéma dans le quartier précaire de Picasso à Boulogne-sur-Mer. Les toutes premières minutes, qui retransmettent le casting face caméra d’enfants des écoles locales pourraient même laisser penser que l’on va assister à un documentaire. En dépit de l’ultra-réalisme du projet, c’est bel et bien à une fiction que nous avons affaire, qui se matérialise dans le personnage de Gabriel. C’est à Johan Heldenbergh qu’a échu le rôle du réalisateur, qui demande infiniment de nuance et cristallise les interrogations éthiques des spectateurs/trices. Cet homme exigeant, sûr de son projet et d’offrir une chance à ces enfants, capable de colères soudaines lorsqu’une scène ne tourne pas comme il veut, mais aussi de gestes de sympathie pas toujours bien interprétés, qui peine à traiter ses jeunes comédien(ne)s en fonction de leur âge, permet de poser beaucoup de questions capitales.
Une partie d’entre elles sont directement formulées de la bouche de personnages secondaires : lorsque l’ingé son imite son attitude colérique, ou que des rumeurs commencent à se répandre après l’invitation de la jeune comédienne à boire un verre à l’hôtel. La plus passionnante reste celle posée à l’assistante par les travailleuses sociales du quartier : choisir les jeunes réputés « les pires » du quartier pour les mettre en lumière dans une intrigue sur fond de grossesse adolescente et d’abandon parental, n’est-ce pas stigmatiser ce quartier qu’elles essayent à tout prix au quotidien de tirer vers le haut ? Aux revendications artistiques de l’équipe de cinéma s’opposent des considérations pragmatiques de terrain, comme la volonté d’attirer un public plus aisé pour renforcer la mixité sociale locale. On apprécie que les cinéastes ce soient elles-mêmes incluses dans la question et permettent d’entendre tous les points de sans trancher.
Mais « les pires », ces gamin(e)s aux castings improbables, souffrant déjà à leur âge de réputations impitoyables (la « pute » , la « gouine », le tombeur, le bagarreur…), se révèlent peu à peu des acteurs et actrices convaincant(e)s. Le film permet de suivre leurs progrès, et au second degré ceux de leurs interprètes. Les moments de vie sur et hors du plateau sont des occasions de révolte autant que de rire, à la fois pour les protagonistes et pour le public. Malgré la délicatesse des thématiques abordées (la gestion des scènes d’intimité entre mineur(e)s sur un tournage par exemple, dans une scène dont la longueur renforce le questionnement), le duo de cinéastes réussit à maintenir une tonalité de comédie qui ponctue régulièrement l’ensemble, jouant beaucoup sur le sens de la réplique qui fait mouche ou du tempo (la scène de déclaration de Lily). De ce pari audacieux de la mise en abîme et du mélange de tonalités résulte un film extrêmement attachant qui donne envie de suivre la carrière possible de ses jeunes interprètes, mais aussi bien sûr celle de ses réalisatrices.
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