Nos cérémonies
Tony et Noé sont deux frères extrêmement proches depuis l’enfance, d’autant plus soudés qu’ils partagent un secret. À la mort de leur père, ils reviennent à Royan, où ils ont passé leurs premières années...
Le très jeune cinéaste Simon Rieth était sélectionné par la Semaine de la critique avec son premier long-métrage Nos cérémonies, en compétition aux Champs-Élysées film festival 2022. Solaire et estival dans sa photographie, laquelle réserve de très belles surprises de plans larges bien composés, et de symétries parfaites, ainsi que sur sa fin, des effets numériques plutôt élégants, le long-métrage est à l’inverse très sombre dans sa thématique centrale.
Nés dans une famille où la violence fait visiblement partie du quotidien, même si le cadrage laisse pudiquement hors champ les disputes parentales, les deux frères, à hauteur desquels toute la partie concernant leur enfance est tournée (au point que, comme dans Un monde, on ne voie pas les visages des adultes s’ils ne se mettent pas à leur hauteur), ponctuent leur quotidien de jeux où se mêlent l’affection et la rivalité. Cet été-là, celui où tout bascule, la cause de dissensions se prénomme Cassandre, petite voisine sur laquelle l’aîné a jeté son dévolu alors que le cadet la considère comme une camarade de jeu supplémentaire. La scène-clé qui fait plonger le récit du côté du fantastique, magnifiquement gérée en plan large réduisant les enfants à deux minuscules silhouettes, les récupère au plus près mais ne dévoile pas le secret du procédé maintes fois répété par la suite, et dont on ne verra réellement l’effet que dans la dernière demi-heure. C’est une façon de préserver le mystère, une forme de flou qui entoure le rituel unissant les deux frères. C’est un duo de frères dans la vraie vie, les mannequins et champions de Wushu Simon et Raymond Baur, qui prête leurs traits à ces personnages aux caractères et parcours très contrastés : l’un, brillant étudiant, séducteur à la chaîne, hâbleur impénitent, semble capter toute la lumière, laissant dans l’ombre l’autre, taiseux, timide, inquiet. Dans l’intimité, le rapport se renverse lorsque l’aîné doit réclamer le secours de son petit frère, auquel il demande l’impensable.
À la question éternelle, « jusqu’où peut-on aller par amour ? », Simon Rieth et sa co-scénariste Léa Riche apportent une réponse aussi insensé que tragique, à laquelle on croit jusqu’au bout.
Rodéo
Passionnée par les motos, Julia a l’habitude d’en voler pour participer à des rides de cross-bitume. Elle y rencontre Kaïs et son groupe, dont deux membres sont victimes d’un accident…
Passer par Cannes, où il est le coup de cœur du jury Un certain regard, ce Rodéo a déjà beaucoup fait parler de lui avant d’arriver dans les salles. Jouant la provoc, Lola Quivoron tient à mettre en lumière ce milieu du cross-bitume qui la fascine, et qu’elle explorait déjà dans son court-métrage Au loin, Baltimore.
Ce qu’elle considère comme une culture méprisée par les élites apparaît d’abord dans le film comme un désir de fuite, partagé par des parias en manque d’insertion professionnelle et sociale. « L’inconnue » jouée par Julie Ledru entre en scène déjà enragée, incapable de s’exprimer autrement qu’en criant. Au fil du long-métrage, elle n’a de cesse de renier les codes traditionnels de la féminité, refusant les jupes et regimbant dans un jean trop moulant, préférant la baston à la séduction, décidée pour s’imposer dans ce milieu masculin à être la pire sur tous les plans : la plus agressive, la plus vulgaire, la plus audacieuse, la plus hors-la-loi, mais parfois aussi la plus sensée, par exemple lorsqu’un accident se produit. Paradoxalement, cette féminité qui paraît l’encombrer est ce qui va la relier à l’autre personnage féminin du film, joué par Antonia Buresi. On a alors droit à une ou deux vraies scènes de sororité autour de l’enfant, sorte d’îlots d’apaisement précaire dans un film qui nous pressurise et nous empêche de respirer.
Tout déborde, le bruit des bécanes et leurs trajets qui transpercent l’écran d’un bout à l’autre, mais aussi la mise en scène chaotique, les gros plans où un visage ne rentre même plus en entier, le mouvement chopé en caméra épaule qui donnerait vite le mal de mer, les rêves nocturnes de Julia incrustés avec élégance dans sa réalité et jusqu’à l’enthousiasme d’un public de festivaliers qui dégaine son téléphone pour immortaliser les scènes de rodéo.
C’est sûrement ce qu’elle a voulu, Lola Quivoron, ramener au cinéma un public plus proche de ceux qu’elle montre que de ceux qui à Cannes l’ont distinguée. Dans cette volonté de nous attacher de force à cette héroïne si mal aimable, si égoïste dans sa façon de prendre et jeter, Rodéo rappelle Divines, et jusque dans sa chute, qui carbure au tragique pour tenter une élévation symbolique.
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