Champs-Élysées film festival – avant-première – Coma

Enfermée seule chez elle pendant un confinement, une jeune fille trompe l’ennui en regardant les vidéos d’une influenceuse, Patricia Coma, sur YouTube, et en imaginant la vie de ses poupées Barbie comme une sitcom…

Après Nocturama, c’est le deuxième film inspiré au cinéaste Bertrand Bonello par sa fille Anna. Dans un court-métrage de commande, devenu le prologue de ce film, il récite en voix off une lettre destinée à son enfant, évoquant le cinéma comme une façon de communiquer avec elle. Désormais âgée de 18 ans, Anna devient métaphoriquement « la jeune fille », une jeune fille sans prénom, sans parents, sans identité réelle, et pour l’incarner à l’écran, le réalisateur choisit sans surprise Louise Labèque, fille spirituelle qu’il avait déjà dirigée dans Zombi Child.

On sent que la période du confinement et les angoisses contemporaines, entre politique américaine et crise climatique, ont influées sur la psyché de Bonello pendant l’écriture. Comme avant lui L’Heure de la sortie, le film est pétri de l’anxiété contemporaine qui ravage la jeune génération, et comme chez Sébastien Marnier des extraits d’images d’archives de catastrophes naturelles contribuent à faire ressentir le sentiment d’urgence et de désespoir. 

Pour autant, dans l’intervalle entre les deux adresses à Anna, le cinéma de Bonello n’a peut-être jamais été aussi créatif, hybride et déjanté, et parfois franchement hilarant. Mêlant les techniques et les idées, il affirme un refus de choisir, et cette accumulation même contribue au portrait d’une société contemporaine où tout voisine dans notre temps de cerveau disponible : des reportages de true crime qui nous font voir le mal partout, des conversations sur Zoom avec les ami(e)s qu’on ne voit plus, confinement oblige, des vidéos YouTube de développement personnel, des jeux cannibalisant l’esprit, des sitcoms aux rires enregistrés gras, jusqu’aux tweets de Donald Trump. Tout s’entremêle et se contamine, ce qui implique la répétition des répliques, comme un effet comique mais aussi l’impression d’une boucle infinie : il n’y a pas le monde d’avant et le monde d’après, il y a cet aujourd’hui qui semble ne jamais finir de ressasser les mêmes thèmes, comme la pandémie toujours présente vague après vague ou les catastrophes climatiques qui se succèdent de plus en plus rapprochées.

Malgré un budget très limité en auto-production, le cinéaste a soigné son esthétique, empruntant aux codes du jeu vidéo en MMORPG l’inquiétante promenade en vision subjective dans la forêt filmée via une vieille caméra à cassette, mais aussi à un style d’animation très contemporain la conversation fantasmée avec le serial killer, et entre les deux, mêlant feuilleton et roman photo dans l’intrigue amoureuse rocambolesque entre les poupées Barbie aux prénoms anglo-saxons. Derrière ces personnages se cache un casting vocal de haute volée, et on imagine très volontiers Laetitia Casta, Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Louis Garrel, et le regretté Gaspard Ulliel, s’amuser comme des fous à prononcer les répliques les plus improbables de ces personnages, dont l’animation en post-production tient étonnamment la route.

Au-delà de son aspect de curiosité très contemporaine, ce Coma-cauchemar interroge la notion de frontières, qui se traduit par la définition des limbes dans le lexique du long-métrage. L’influenceuse solitaire incarnée par Julia Faure est un peu plus qu’une business woman rendant l’esprit captif de ses inventions inutiles, c’est aussi une coach en philosophie deleuzienne qui invite à risquer de s’aventurer dans les marges, entre le réel et le rêve, là où les morts flottent avec les vivants.

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