Le peintre Bazé les appelle Carmen, Maria, Roxane et Amaya, mais qui sont les quatre femmes qui ont prêté leurs visages à ce tableau, désormais à demi effacé par un coup de brouillarta ?
En voilà un petit livre qui réserve bien des surprises… déjà, son titre. Pour qui n’est pas familier du Pays basque, celui-ci ne sera pas connu. Le « brouillarta », c’est un coup de vent venu de la mer, bien spécifique de la côte vers Saint-Jean-de-Luz. Un phénomène météorologique qui sert d’élément perturbateur au tout début du texte et vient lancer sa petite mécanique.
Deuxième surprise, pour qui sait qu’Ève Jauréguiberry fut d’abord autrice pour la jeunesse et la bande dessinée, et s’attendrait en conséquence à un texte au style simple, sobre, efficace, adapté à un jeune public ou à des bulles dans des cases. C’est tout l’inverse. De longues phrases proustiennes qui se déploient sur plusieurs lignes, un vocabulaire extrêmement choisi et diversifié, des métaphores subtiles en grand nombre et toutes sortes d’images, composent un style original mais complexe, exigeant pour les lecteurs/trices. Au commencement, on peut même avouer sincèrement qu’on n’a pas compris grand-chose.
Il faut dire que la présentation du livre comme un recueil de nouvelles n’aide pas. En réalité, il s’agit d’une seule et même histoire qui se déploie en chapitres, celle de ce tableau abîmé par les embruns dans le texte introductif, et des quatre femmes qui y sont représentées. Chaque chapitre correspond à l’histoire de l’une d’entre elles et les derniers adoptent le point de vue d’un personnage secondaire lié à l’une de ses femmes. Autrement dit, on est bien davantage dans le cas d’un roman polyphonique que dans un recueil de textes séparés.
Une fois qu’on sait à qui et à quoi on a affaire, tout va déjà mieux. On s’habitue à l’exigence du style, on rassemble peu à peu les pièces du puzzle, et on peut commencer à admirer ce qui se dessine. C’est-à-dire une œuvre multiple, sensuelle, sensitive aussi, qui s’appuie en grande partie sur la description de sensations liées à l’odorat, un sens relativement peu exploité en littérature, en particulier dans les trois derniers textes. En jouant de son mystère, le récit se permet également de mélanger les genres : un fantastique très gothique dans une veine qui rappellerait volontiers les mystères d’Edgar Allan Poe, et aussitôt après de la pure science-fiction imaginant un futur en quête des sens perdus. Tout cela en étant parti d’une conversation entre le peintre Bazé et le compositeur Bizet, c’est largement inattendu.
Très clairement on ne pourra pas reprocher à l’autrice de manquer d’originalité avec ce texte qui profite de son découpage et de ses changements de point de vue pour s’adonner à toutes les fantaisies et les variations possibles. En revanche, il est quand même très obscur dans son écriture, qui nécessite de s’accrocher pour comprendre et suivre, et conserve malgré tout des zones d’ombre. On peut aussi s’interroger dans une certaine mesure sur la dépiction du féminin qui transparaît à travers la peinture de ses modèles. Femmes passionnées au-delà de la raison, dominées par leurs appétits et les pulsions de leur corps, volontiers gouvernées par des humeurs mauvaises et cruelles, jalouses jusqu’au meurtre par vengeance, orgueilleuses jusqu’au désir de maîtriser la mort et la vie, c’est un portrait du féminin pas vraiment flatteur et très soumis au corps et aux passions qui pourrait presque sembler misogyne dans sa répétition. La femme muse, modèle, amoureuse, capable de donner ou redonner vie, voilà le tableau que révèle le coup de brouillarta.
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