Surnommé Pipe, en raison d’un tour qu’il exerce, un petit chien de cirque s’échappe pour fuir les mauvais traitements de son dresseur…
Littérateur protéiforme, aussi bien poète que dramaturge ou romancier, figure de provincial solitaire bien que remarqué par Gide et Mallarmé, Francis Jammes compose, sur la fin de sa vie, un petit roman ancré dans son Pays basque, sorte de voyage picaresque faisant aussi figure d’autoportrait en canidé.
Dès les premières lignes du texte, nous sommes mis sur la piste par les mots « Pipe était chien, mais il aurait pu être auteur », une pique cynique à ses condisciples de plume autant qu’un indice sur son identification à son protagoniste à quatre pattes. Animal de cirque sous un mauvais chapiteau, où la violence est le traitement habituel des plus forts envers les animaux comme les femmes, dans un univers qui rappelle Dumbo (après tout sorti seulement huit ans après ce roman), Pipe y apprend qu’il faut faire le beau pour obtenir sa pitance et choisir entre le gîte, les coups et le couvert, ou une liberté solitaire et sans ressources. Ses pas l’entraînent à Bayonne et, de rencontre en rencontre, Pipe balaie toutes les couches de la société, des plus humbles au plus privilégiées. S’il peut s’y plaire un certain temps, il finit toujours, d’une façon ou d’une autre, par en être chassé, comme le romancier qui malgré l’appréciation de ses talents de plume, retourne à son Sud solitaire et replonge dans la religion catholique avec ferveur, ce qui n’est pas sans faire écho au destin de Pipe.
Satire des puissants, de la mesquinerie et de l’hypocrisie des hommes, mais aussi de leurs lubies et de leur inconséquence, de leur bêtise et de leur cruauté, ce récit social à sa façon est aussi un road trip local très ancré dans son terroir, où les passions dominantes sont des humeurs du corps telles que la faim, la fatigue, ou les réflexes acquis à force d’entraînement.
À la fois éminemment prosaïque et soigneux dans son vocabulaire, voire parfois légèrement ampoulé dans son style, ce texte tout en contrastes accomplit dans son schéma narratif une boucle quasi parfaite. On ne s’ennuie pourtant jamais à suivre les péripéties du petit animal, car même si certains événements semblent répétitifs, c’est l’humour piquant et la critique acerbe qui leur offrent toute leur saveur. En revanche, le texte a largement vieilli dans sa morale et ses valeurs : religieux, volontiers raciste, Francis Jammes est un narrateur clairement d’un autre temps, et pas seulement parce qu’il emploie un vocabulaire et des tournures de phrases datés.
Le texte se lit comme une fable ou un conte pas vraiment philosophique, ou alors d’une philosophie très terrienne, un genre de bon sens paysan mais lettré. C’est une curiosité qui dépayse à la fois dans le temps et dans l’espace, qui parvient à nous projeter aux côtés de Pipe comme si on n’y était, que l’expérience soit parfois agréable ou parfois déplaisante.
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