« Je tremble, ô matador », la dernière passe

Poursuivi par la police de Pinochet, hostile aux personnes LGBT+, « la Loca » est secourue par Carlos, un jeune révolutionnaire dont iel s’éprend…

Dans un cinéma chilien majoritairement engagé, le plus souvent sur des thèmes liés au féminisme et aux personnes queer, Rodrigo Sepúlveda ne fait pas exception en choisissant d’adapter un texte phare du début des années 2000, Je tremble, ô matador, de son compatriote Pedro Lemebel, activiste LGBT+.

Dès la scène d’ouverture, une opposition frappante se crée entre la joie, la fête, la musique, les paillettes, les amitiés, tout ce qui compose le quotidien choisi par le groupe d’ami(e)s de « La Loca », et la violence perpétrée par le pouvoir, incarné par ces policiers qui surgissent en pleines festivités pour semer la panique et la mort. Bien qu’au quotidien, dans sa petite maison colorée, « la Loca » ne se cache pas et puisse exercer un petit métier de couture pour des familles aisées et proches du pouvoir sans devoir renoncer à son travestissement, on sent peser une hostilité latente de la part des institutions et comme une menace due au régime autoritaire.

Dans ce contexte, pour un personnage vieillissant, incarné par un Alfredo Castro méconnaissable, qui n’aspire à rien tant qu’à profiter de son logement et de ses proches sans qu’on vienne les attaquer, la rencontre avec Carlos est forcément un danger. D’abord d’un point de vue purement intime et sentimental, car « La Loca » ne s’illusionne pas sur les perspectives qui peuvent l’allier à ce jeune homme à long terme. Mais aussi d’un point de vue politique, dès lors qu’iel découvre dans des cartons censés contenir des ouvrages précieux des biens appartenant à un groupe révolutionnaire. Le film reste assez mystérieux sur le contenu de ces fameux cartons pendant sa majeure partie, ne nous montrant jamais pleinement le détail des boites, qui, telles celle de pandore, vont changer le destin de « La Loca » une fois ouvertes.

Éminemment politique, le film contient des scènes très fortes comme celle où le personnage principal traverse une manifestation et un cordon policier pour rendre un service à son jeune ami dans son combat révolutionnaire. Ce personnage qui aurait pu sembler frivole dans son goût de la fête et des vieilles chansons devient le symbole d’un courage qui ne réclame pas de médaille, mais simplement un peu de chaleur humaine.

Esthétiquement, le film est traversé par la métaphore de la corrida issue de son titre. En langue originale, « Tengo Miedo Torero » est le nom de la chanson adorée par « La Loca » qu’iel empreinte comme mot de passe à utiliser en cas de danger avec Carlos. Et de fait on retrouve plusieurs éléments qui rappellent la cape du matador sur la piste de l’arène : les grands tissus colorés sous lesquels les cartons sont cachés, la nappe à broder aux armoiries du pays pour la femme du général, ce tissu qui finira jeté à la mer dans un geste que ne renierait pas le monde taurin. Mais si c’est « La Loca » qui tient la muleta, c’est pourtant bien Carlos le torero, celui par qui le danger arrive, qui pourrait causer la perte de son ami(e), et pour qui surtout iel.s’inquiète, plus que pour sa propre vie. Parfois crue sans être jamais impudique, la caméra nous fait entrer dans l’intimité des personnages, avec beaucoup de plans en intérieur dans la maison de « La Loca », des espaces à la fois très colorés, mais aussi décatis, à l’image de leur propriétaire. Le symbole du vieillissement, c’est ce dentier retiré pour performer un acte sexuel, dans un plan d’autant plus fort qu’il joue du hors champ. Alfredo Castro prête ses traits à un personnage que le film traite avec beaucoup de dignité, et de respect, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités. Ce portrait d’une personnalité toute simple qui se retrouve à accomplir des gestes forts par amour résonne avec beaucoup de sentiment, à l’instar des chansons appréciées par le personnage.

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