« Corsage » : Sissi l’exaltée

Alors qu’elle s’apprête à célébrer ses 40 ans, l’impératrice Élisabeth d’Autriche ne supporte plus la vie de cour. Obsédée par son image et en particulier son poids, elle s’affame et se corsète jusqu’à trouver une solution pour les apparitions en public…

C’est Vicky Krieps qui a soufflé à Marie Kreutzer, lors de leur première collaboration sur Was hat uns bloß so ruiniert, l’idée d’un film sur Sissi. Alors qu’à l’époque la cinéaste n’a pas forcément l’air convaincu, elle revient plus tard vers l’actrice avec un scénario sur le sujet. Mais il n’est pas ici question de la Sissi interprétée par Romy Schneider comme une jeune première dont la rébellion apparaît comme une bouffée de fraîcheur. La Sissi de Marie Kreutzer est quelque part bien plus contemporaine, elle incarne la complexité du rôle de femme dans une société très codifiée et genrée.

À découvrir Sissi galopant seule et fuyant les manifestations publiques, à voir les plans larges dans lesquelles sa silhouette paraît abandonnée de tous/tes, en particulier juste avant qu’elle ne se défenestre, à l’observer coupant rageusement l’immense chevelure qui lui pesait au sens propre comme au figuré, on pense bien évidemment au portrait de Diana tiré par Pablo Larraín dans Spencer. Même si le film de l’Allemande lorgne moins du côté des codes du cinéma de genre, le parallèle entre les deux femmes n’a jamais été aussi frappant que dans ces relectures contemporaines qui mettent l’accent sur leur mal-être et leur solitude. Les seules personnes avec lesquelles l’Impératrice peut se montrer plus franche sont son cousin Louis de Bavière, qui lui aussi fait figure d’anomalie dans le paysage des têtes couronnées et connut une fin tragique, et ses deux suivantes, dont l’affection peut-être réelle n’empêche pas une forme de contrainte, puisque Sissi leur refuse clairement de se marier, souhaitant les garder pour elle seule.

Certains éléments sont manifestement documentés, comme l’installation d’agrès dans les appartements de l’Impératrice qui cherche par tous les moyens à conserver la ligne, associant au port permanent de corsets excessivement serrés des pratiques sportives à haute dose : gymnastique, promenade, équitation. L’intérêt qu’elle portait à l’éducation des enfants, et en particulier de sa plus jeune fille Valérie, semble un autre aspect intéressant à mettre en valeur, même si d’autres points peuvent paraître davantage romancés, et en particulier la fin du long-métrage qui tombe presque dans la métaphore mais offre esthétiquement une belle sortie.

L’ensemble du film est dominé par la froideur qui émane à la fois des lieux, avec beaucoup de teintes grises, bleutées, et des costumes noirs tels que les livrées que l’Impératrice faisait porter à ses domestiques, ce qui reflète le manque de chaleur humaine dont elle semblait souffrir, a fortiori une fois brouillée avec sa sœur et séparée de l’écuyer Bay dont elle était proche. Cette solitude, c’est aussi celle d’une femme à qui on a imposé d’être avant tout une image, fixée pour l’éternité par les peintres officiels, contrainte à ne pas changer, ne pas vieillir, ne pas s’altérer de quelque façon que ce soit. Mais vivre, c’est vieillir et changer, et c’est donc à une forme de mort organique que semble condamnée la souveraine, qui cherche à toute force à échapper au carcan, quitte à simuler des étourdissements quand ils ne la prennent pas pour de vrai pour cause de sous-nutrition, quitte à partir en voyage ou à passer son temps dans les hôpitaux psychiatriques ou ceux des blessés de guerre. La richesse de la vie intérieure de Vicky Krieps est parfaite pour nous faire vivre les luttes perpétuelles qui semblent avoir lieu sous le front lisse de l’Impératrice, le regard à la fois curieux, inquiet et presque envieux qu’elle porte sur les patientes hospitalisées. Comme si elle aussi aurait voulu pouvoir crier sa détresse et secouer les barreaux d’un lit plutôt que de devoir garder un sourire de façade dans les cérémonies officielles. À moins qu’elle ne craigne que la folie ne vienne la prendre, elle qui est déjà considérée comme exaltée par son entourage. L’expression employée par Bay pour décrire l’hilarité de Sissi à table, « elle a une araignée dans le corsage », correspond assez bien à la souveraine, perpétuellement agitée d’un désir d’ailleurs et d’autre chose, de mouvement là où le corset la tient droite et quasi en apnée, tout sauf libre.

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