« Elle s’appelait Lucía », prends garde à Grenade

À Bruxelles, Victor, 19 ans, rencontre Lucia. Après une nuit d’amour, la jeune espagnole repart pour Grenade. Sans soupirant décide de la suivre en plaques en tout…

On n’aime rien tant, dans la petite collection rouge « le courage » de Charles Dantzig, que les romans d’éducation sentimentale et sexuelle. Après Joy Majdalani, et la découverte par sa protagoniste du désir et de son assouvissement (Le Goût des garçons), Pierre André propose une sorte de contrepoint masculin. Elle s’autorisait à parler crûment et sans détour de l’appétit charnel des jeunes filles, mettant au placard les clichés de pureté et de simple réponse aux avances masculines. Il n’hésite pas à mettre en avant un protagoniste sensible, romantique, recherchant une relation amoureuse stable et fidèle, alors que sa partenaire prône la liberté et est malheureuse dans la situation d’un couple hétérosexuel classique. On apprécie la modernité de ces récits, qui ont, en effet, le courage de sortir un peu des normes de genre, ce qui ne fait que rendre les personnages que l’on suit plus intéressants et attachants.

Bien que décrit en seulement quelques mots, on croit le voir, ce Victor aux boucles blondes qui lui dessinent presque une afro sur le crâne, petit jeune homme au cœur trop grand pour lui, soumis au mouvement de celui-ci jusqu’à tout quitter pour une femme. L’auteur lui-même, de nationalité belge, a vécu deux ans à Grenade où il a étudié la musique. De là à y voir un récit partiellement autobiographique, on ne s’avancera pas trop, mais on peut en tout cas admirer la sensibilité et la finesse qu’il a insufflées dans son personnage.

L’histoire en elle-même est relativement classique : un vrai premier amour à la fin de l’adolescence, incandescent et passionné, condamné par la construction divergente des deux parties, et les maladresses inhérentes aux débuts. On n’adopte jamais le point de vue de Lucía, et on ne sait pas à quel point pour elle l’idylle avec Victor a compté. Mais pour lui, on devine d’emblée qu’il s’agit d’un souvenir marquant, fondateur. On pense à la lecture à la romance aussi solaire bâtie par Olivier Liron dans Danse d’atomes d’or, à ce côté fuite en avant d’une femme qui se cherche, poursuivie par l’amour d’un homme qu’elle ne peut pleinement satisfaire.

On aime aussi le dépaysement causé par le déplacement de Bruxelles à Grenade, le changement de décor, opposant les pavés luisant sous la pluie aux ruelles ensoleillées où gravite toute une faune de musiciens de rue et danseuses de flamenco. Le style de l’écriture, en apparence très simple, réussit fort bien à donner l’impression de mouvement, d’un côté tourbillonnant de la ville où on finit toujours par recroiser les mêmes visages, où tout le monde se connaît, et semble atteint du même état entre l’exaltation et la mélancolie. Les lignes sur la passion nouvelle de Victor pour la trompette sont aussi très belles, empreintes d’un respect quasi sacré pour la musique et les instruments, et la pratique concentrée et régulière qu’ils requièrent.

Le plus séduisant dans tout cela, c’est sans doute la posture du narrateur, qui sait se faire présent juste quand il le faut, moquant gentiment l’attitude de son personnage, s’amusant de tenir dans sa main les ficelles du hasard, mais sachant à d’autres moments s’éclipser, remplaçant la troisième personne du singulier par la première, pour faire entendre la voix de Victor et lui donner du corps, de la réalité. On y est, on y croit, on se promène à ses côtés en attendant, en espérant Lucía, et l’instant d’après on est avec le narrateur, qui raconte cette histoire, et qui fomente déjà les prochaines retrouvailles ou la prochaine dispute. C’est un petit livre qui a l’air tout simple, avec un titre classique, et qui mine de rien est bien vivant et bien malin. On a hâte de lire les prochaines œuvres de Pierre André, où qu’elles nous entraînent.

 

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