Lila traîne sa peine après une rupture compliquée avec Rémi, son ex manipulateur. Son entourage lui conseille d’oublier le jeune homme parti en Bolivie et de faire de nouvelles rencontres…
Avant le très réussi Bonne mère, Hafsia Herzi s’initie à la réalisation avec un projet culotté : un premier film autoproduit, sans subventions pour gagner du temps, pour une actrice qui a chopé le virus de l’écriture avant même de savoir à quoi devait ressembler en scénario. On la sent, cette passion pour l’invention d’une histoire, à travers cette caméra très organique qui suit de près sa protagoniste, qu’elle a choisi d’incarner elle-même, simplement parce que c’était plus facile pour organiser son tournage.
En même temps, qui aurait pu mieux donner vie à cette Lila, émanation d’une époque prise entre deux feux : bien consciente qu’à heure actuelle le romantisme et la poésie se sont fait la malle, et qu’il n’y a souvent plus que le plaisir du corps, l’image sociale, et les avantages matériels qui comptent, la jeune femme a beau assurer à son entourage qu’on ne l’y reprendra pas, qu’elle est prête pour une nouvelle histoire, qu’elle va sortir, s’amuser, et surtout bloquer définitivement son ancien jules, il est des élans du cœur difficile à combattre et des histoires dans lesquelles on s’est suffisamment investi(e) pour avoir du mal à y renoncer.
Pourtant, la poésie n’a pas complètement disparu, elle est dans le film personnifiée par le serveur joué par Anthony Bajon, ce jeune homme qui certes voit la beauté de Lila mais, seul parmi les hommes hétéros du long-métrage, la considère comme une personne humaine et une muse, et non comme un corps qu’on peut prendre, utiliser, et sur lequel on aurait quelque droit que ce soit. Il faut dire que par ailleurs la galerie de portraits n’est pas en faveur de la gent masculine, aréopage libidineux guidé par la vanité et les pulsions. Pourtant, si à chaque rencontre on a envie de crier à Lila de ne pas y aller, la jeune femme sait apprendre quelque chose de chaque confrontation et de chaque déception. La caméra de Hafsia Herzi ne juge jamais ni elle-même ni les autres, mais les entoure de sa bienveillance, de sa proximité, de sa sincérité. Sur des dialogues très écrits et précis, elle a voulu laisser les bafouillages ou les répétitions qui donnent le sentiment de la vérité, presque du documentaire, nous font oublier qu’on est dans une intrigue censée avoir un début et une fin, et nous rendent disponibles au parcours de deuil amoureux, forcément constitué de rechutes, de désespoir, de colère, absolument non linéaire, ce qui le rend vraisemblable.
Au-delà de l’universalité bien rendue de la difficulté à tourner la page, on saisit à travers ce long-métrage quelque chose de l’ère du temps, en particulier avec les moments de légèreté entre Lila et ses proches, et les répliques bien senties et souvent hilarantes de son meilleur ami (Djanis Bouzyani). Et puis il y a cette séance photo pleine de grâce et ce poème récité avec un mélange de pudeur et de courage. Dans l’hommage à Frida Kahlo, il y a la femme forte et nourrie par l’amour qui lui a inspiré ses toiles colorées, il y a aussi l’immense souffrance physique et morale avec laquelle elle s’est battue toute sa vie (voir les deux sources concordantes que sont le film Frida et le roman Rien n’est noir). En cela, en effet, Lila lui ressemble : la souffrance amoureuse devient son carburant, ce qui lui permet de faire des expériences et d’acquérir la force de savoir ce qu’elle veut, et ce qu’elle ne veut plus.
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