1 mois, 1 plume, 1 œuvre : If….(mai 1969), par Teddy Devisme

La plume

Passionné de cinéma britannique, Teddy Devisme veille à faire connaître celui-ci et encourage à éviter les raccourcis par un travail pédagogique mené sur les réseaux sociaux. Rédacteur pour Onlike et la team FuckingCinéphiles, il est également l’auteur d’un ouvrage sur le cinéma britannique, en attente d’être édité. Pour sa chronique, il a bien entendu choisi un classique du cinéma d’outre-Manche…

L’œuvre

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Palme d’Or au Festival de Cannes 1969, If…. n’est pas l’un des films britanniques les plus connus en France, mais il fait partie des plus réputés et influents outre-Manche. Si bien qu’en 1999, dans le classement des cent meilleurs films britanniques de tous les temps concocté par le British Film Institute, le long-métrage de Lindsay Anderson se place 12e. Avant tout, il faut revenir sur le contexte historique. Après la Seconde Guerre mondiale apparaît le néoréalisme italien, et d’autres nouvelles approches du cinéma émergent un peu partout. Des passionnés de cinéma veulent faire et voir du cinéma autrement, à partir de presque rien, jusqu’à sortir des studios et aller filmer dans les rues. Ces nouvelles voix cherchent à filmer le quotidien de personnes ordinaires, la vie intime de tout un chacun. À la fin des années 1950, apparaît la Nouvelle Vague en France. Quelques années plus tôt, en 1956 plus précisément, arrive au National Film Theatre de Londres un programme de trois court-métrages. Une initiative portée par Lindsay Anderson, Karel Reisz et Tony Richardson. Ainsi est né le mouvement Free Cinema, qui enclenche ce qu’on nomme modestement le réalisme social britannique des années 1960. Il s’agit en quelque sorte d’un prolongement du mouvement des Angry young men : des romanciers et dramaturges britanniques issus de la classe moyenne et ouvrière. Mais quel autre point commun y a t-il entre Lindsay Anderson et les mouvements français et italien ? Il faut savoir qu’avant de devenir réalisateur, il était critique de cinéma dans une revue renommée et très influente à l’époque, qu’il a co-fondée. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Une nouvelle vision et une nouvelle philosophie du cinéma sont nées. Après la critique, Lindsay Anderson mais aussi Karel Reisz et Tony Richardson commencèrent par des court-métrages documentaires, explorant les classes ouvrières, s’inspirant des œuvres de John Grierson et Humphrey Jennings dans les années 1930 et 1940.

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C’est en 1968 que Lindsay Anderson tourne son troisième long-métrage dont il est question ici. C’est le premier d’une trilogie, autour du protagoniste Mick Travis incarné par Malcolm McDowell. Le cinéaste raconte le parcours de quelques étudiants d’une public school (des écoles privées, très coûteuses et sélectives) qui décident de se rebeller contre l’autorité au sein de l’école. Alors que le réalisme social britannique avait pour but de mettre en lumière des personnes trop peu visibles sur le grand écran, ou même dans la fiction en général, Lindsay Anderson semble être avec If…. en conflit contre la société. C’est une vision acerbe qu’offre le cinéaste, tout en étant une histoire surréaliste de révolution. Si le film s’accorde aussi bien avec le mouvement de l’époque, c’est qu’il capture un élan qui ne touchait pas uniquement la Grande-Bretagne. Que ce soit à Londres, Paris, Berlin ou d’autres villes, 1968 est restée dans les mémoires comme une année de luttes de la part des étudiants. Mick Travis et ses amis incarnent cette effervescence, face à une institution qui les contrôle de tous les côtés. Sauf que le cinéaste n’en fait pas quelque chose de définitif, la rébellion qu’il peint n’a pas de fin en soi, d’où la dimension surréaliste. Elle se remarque dès l’entrée en scène de Malcolm McDowell, vêtu tout de noir, chapeau sur la tête, écharpe masquant la moitié basse de son visage, se cachant derrière son imposante valise portée à l’épaule. L’ambiguïté fait partie de l’oeuvre, cristallisant le rapport tendu entre la liberté individuelle et les traditions de l’école. Cette public school du récit est alors un microcosme de la société britannique.

Celui où se joue un conflit entre l’individu et la société, où l’intime est confronté au collectif. Le désir d’indépendance des personnages fait face à l’autorité de l’environnement scolaire. Mais Lindsay Anderson ne cherche pas à montrer une désobéissance puérile ou spontanée, mais uniquement les tentatives subtiles d’être libre. Il s’y développe une réflexion sur la rébellion, comme l’énonce Mick Travis : « Il n’y a pas de mauvais combat. Violence et révolution sont les seuls actes purs. ». Face au système éducatif débilitant déployé dans le film, le protagoniste et ses deux amis font preuve de résilience face à une déshumanisation permanente : ils résistent et subissent les châtiments, avant de faire mûrir leur vengeance (et la fameuse scène finale). If…. dénonce ainsi l’hypocrisie à l’école, mais s’attaque également à l’Église et à l’armée. Chacune de ces institutions est passée au crible de la dénonciation et de l’absurdité, pour explorer la perte de liberté individuelle, en mettant en scène le contrôle qu’elles effectuent sur les corps. Comme si les personnages s’en voyaient dépossédés, en étant contrôlés par leurs supérieurs (voir une scène de douche, où l’instructeur répète à Mick Travis d’avancer, de reculer, et ainsi de suite). Sauf que, face à la pudeur et à l’interdiction qui règnent dans l’école (le sexe est vu comme une radicalisation), il y a même un éveil de l’homosexualité. La révolution est vue comme un style de vie, plutôt qu’une attitude folle qui ravage tout : c’est l’obsession pour celle-ci qui traverse les images. Cela se matérialise dans la chambre secrète de Mick Travis et ses amis, où l’on peut voir un poster d’un homme utilisant une arme, un poster du tableau « Le Cri » par Edvard Munch, des coupures de presse parlant de révolution à travers le monde, etc.

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Ces éléments sont gardés dans la marge, ne sont jamais exposés au-delà de l’intimité. Ce sont des caractéristiques mineures dans un contexte, plutôt que des efforts avides pour profiter d’une ambiance sociale qui parcourt le monde. Cette obsession est peinte dans un ton non-euphorique, et le film ne montre jamais d’affinité particulière avec les événements de 1968. L’émancipation vient alors d’une fureur intérieure, qui se confronte à une férocité environnante. Tout autour des étudiants, se développe une comédie sociale à la fois dans l’anarchie sévère et dans la subversion silencieuse. Il faut voir cette scène de châtiment dans le gymnase : alors qu’il s’agit d’une punition pleine de cruauté, Malcolm McDowell entre dans la pièce avec un sourire narquois et ouvrant les deux portes en tendant ses deux bras (une entrée presque triomphale), avant que l’instructeur ne prenne de l’élan et se mette à courir pour lui asséner des coups sur les fesses. La mise en scène de Lindsay Anderson suggère l’exubérance, mais elle se construit aussi comme une curiosité subversive. Entre la fiction et le documentaire, If…. ressemble parfois à la découverte d’une tribu d’aborigènes, comme quelque chose qui apparaît grotesque, telle une sauvagerie dépassée. L’image se conforme alors à l’apparence imposée par les règles de l’école, tandis que la rébellion est surtout fantasmagorique, c’est une grenade qui se dégoupille progressivement. Il y a même un signe avec le regard halluciné de Malcolm McDowell : non-conformiste assidu, il attend patiemment son heure. Ses yeux clairs s’exaltent du moindre détail qui le conforte dans sa colère, et qui le renforce. Il n’y a aucune précipitation et Lindsay Anderson a compris qu’il ne faut pas y plonger. Le film est alors construit grâce à des paraboles fantasmées et surréalistes : le parcours à moto, la chambre secrète, les posters de femmes, l’imitation animale dans le bar, la bande originale, les repas cuisinés à la volée dans les chambres, les scènes dans l’église, quelques scènes de sports, etc.

Toutefois, ces scènes sont furtives et ne provoquent aucun changement dans le récit. Au-delà de ces moments hallucinés, le quotidien de Mick Travis et ses camarades est filmé comme une chronique. Le cadre de Lindsay Anderson embrasse l’enfermement auquel les jeunes hommes font face. L’espace est rigide, ne montre aucune véritable ouverture au-delà du mode de vie au sein de l’école. Il y a toujours cette sensation de contenir les corps et les émotions, pour éviter qu’ils ne s’échappent. Pourtant, la caméra est lucide. Le cadre ne reste pas aveugle sur la cruauté et l’absurdité, il pousse justement à s’en rapprocher pour créer la compassion. Il faut presque y voir le cadre comme un regard paranoïaque, où l’angoisse et la violence s’éternisent. Ainsi, la colère brûle dans chaque image (qu’elle soit fantasmée ou non), pour imaginer le renversement possible de cette société britannique. C’est parce qu’il aborde son récit comme une chronique aux multiples paraboles surréalistes, que Lindsay Anderson peut brouiller les pistes. Plus le film progresse, plus le montage montre qu’il se désintègre petit à petit. Le réel et la fantaisie se rejoignent, la frontière entre la chronique et le fantasme s’amincit, les images en couleur et celles en Noir&Blanc s’alternent de plus en plus, les ellipses sont toujours plus grandes, et le temps se fait abstrait. Cette désintégration est aussi le résultat d’une dichotomie, où le cinéaste dessine le contraste entre l’élégance et la rébellion. En parallèle de la rigueur morose de la chronique (et parfois du Noir&Blanc), il y a le raffinement et la fougue des couleurs. Ainsi, en ne restant pas dans le piège enfermé du réel cruel, Lindsay Anderson alterne les formes pour nous rappeler sans cesse qu’il s’agit d’un film.

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Ces passages de plus en plus arbitraires de la couleur au monochrome font partie d’un certain mépris fantaisiste pour les conventions narratives. Tout comme cette exposition du récit très linéaire, jusqu’à s’orienter vers des intermèdes inattendus où se déploient des images poétiques et sensuelles. Le cinéaste cherche donc à explorer deux faits en même temps : la violente réalité du contexte, et ce qui se cache derrière (dans l’intimité). Telle l’expression d’une énergie animale pour évoquer la libido adolescente. If…. est un film sur la violence des institutions, sur la fantaisie intime, sur la nature rebelle et révolutionnaire du sexe et de l’amour. La dernière scène est même un hommage au Zéro de conduite de Jean Vigo (1933). Une œuvre qui a elle-même influencé d’autres cinéastes à son tour, puisque c’est en voyant Malcolm McDowell incarner Mick Travis que Stanley Kubrick l’a choisi pour le premier rôle de Orange Mécanique. Sous ses airs inoffensifs alors qu’elle traite d’une révolution, la satire de Lindsay Anderson dévoile la fantaisie contenue d’une époque.

Teddy Devisme

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