Thelma quitte le nord de la Norvège pour venir suivre des études de biologie à la capitale. D’abord isolée et réservée, très couvée par ses parents même à distance, la jeune fille rencontre suite à une crise ressemblant à de l’épilepsie la brune Anja, jeune femme à l’aise dans sa vie et bien entourée…
Avant son récent Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier s’était déjà essayé au portrait féminin avec Thelma. Il n’est pas ici question d’une trentenaire mais d’une toute jeune femme, au sortir de l’adolescence. La juvénile Eili Harboe incarne une étudiante qu’on prendrait presque pour une collégienne, avec sa silhouette gracile, son visage poupin et son regard grave d’enfant craintive. Seule dans la foule du parvis de son université, elle rappelle par son isolement, ses croyances religieuses et ce qu’elle découvre comme des pouvoirs télékinésiques la Carrie de Stephen King.
Mais le fantastique traité par Joachim Trier, citadin habitué aux parcours de vie réalistes, venu chercher dans le nord enneigé de son pays l’inspiration d’un cinéma recyclant les codes du genre (lampes qui grésillent, oiseaux qui tombent, musique qui s’allume toute seule), est nettement moins sanglant et nettement plus épuré, voire éthéré, que celui du maître américain de l’horreur. Rares sont les effusions, à peine un saignement de nez qui s’épanche dans les décombres d’un verre de lait. Le verre, la glace, les vitres, la surface de l’eau, sont comme autant de barrières invisibles que l’inconscient de Thelma peut franchir. Celle qui, en revanche, lui reste longtemps infranchissable, c’est le carcan de son éducation catholique. Son père (Henrik Rafaelsen) semble toujours à l’écoute et pourtant, dès le plan où il pointe le canon de son fusil de chasse vers son enfant, nous savons ce que Thelma a choisi d’occulter. La religion dans laquelle elle a été élevée n’est qu’une autre forme de la camisole qui emprisonne son aïeule. Autrefois l’Inquisition brûlait les sorcières en place publique, mais nous ne sommes pas dans Les sorcières d’Akelarre : les pouvoirs de Thelma sont bien réels et si son prénom signifie « protection divine », tout l’enjeu pour la jeune fille est de comprendre que ce n’est pas une force extérieure à elle-même qui la protégera.
En dépit d’un style esthétique bien différent, qui abonde en métaphores religieuses (le serpent incarnant le péché de chair) et se complaît dans des palettes froides, du blanc au noir en passant par le vert sapin, c’est surtout à Grave que Thelma fait irrésistiblement penser. Eili Harboe comme Garance Marillier ont cette puissance magnétique, cette façon de crever l’écran en soumettant leurs corps aux transes de leurs personnages. Chacune incarne à sa façon une jeune femme isolée par son éducation et par le poids d’une hérédité hors normes. Comment se défaire de l’emprise familiale ? Comment être soi-même sans faire du mal aux autres ? Comment nouer des relations sincères avec des personnes que l’on se sait capable d’anéantir ? Ce sont les mêmes questions fondamentales du passage à l’âge adulte, intensifiées par les codes du genre, ici le fantastique, là le body horror, qui traversent les deux œuvres, avec la même élégance et le même effet bouleversant.
Il n’y a point ici de sœur pour servir d(‘anti-)modèle à Thelma, mais une camarade séduisante (Kaya Wilkins) qui pourrait à la fois causer sa rédemption ou sa perte. L’appel du désir, ici d’autant plus interdit qu’il s’exprime envers une femme, est l’élément déclencheur qui sort Thelma de l’apaisement artificiel de son adolescence sous cloche. Là où le cinéaste et son co-scénariste Eskil Vogt ont pu récemment pécher dans l’écriture d’une jeune femme moderne, les personnages masculins de Thelma sont réduits à la seule figure paternelle, un rôle certes ambivalent et intéressant mais qui n’éclipse pas l’adolescente torturée et lumineuse qui trouve son chemin vers elle-même. Il sera difficile pour Joachim Trier de dépasser la pertinence de ce film-là.
Ah, je dois dire que celui-ci, il me tentait terriblement et ton avis est tout aussi attirant !
Franchement il a plein d’atouts, dont son utilisation fine des codes du ciné fantastique.