Quitté par sa compagne, Alan apprend peu après le suicide de son meilleur ami d’enfance. Il décide alors de se lancer dans l’écriture d’un roman sérieux, sur les conseils de son ex, et accepte de surveiller la piscine de ses voisins partis en vacances…
Tous les deux ans, le prolifique auteur de bandes dessinées Fabcaro nous offre comme une gourmandise supplémentaire un nouveau roman publié sous son nom complet. En tant que romancier, Fabrice Caro manie toujours l’humour, un certain goût pour l’absurde, mais introduit davantage de fond et de mélancolie que dans ses œuvres dessinées.
Avec Samouraï, le cru 2022, il clôt ce qu’il appelle sa « trilogie des A », de l’initiale de ses protagonistes masculins : Adrien, Axel, et désormais Alan. Trois types entre deux âges qui se retrouvent à un tournant de leur vie, et tentent tant bien que mal de dépasser leur statut d’inadapté. Bien souvent, c’est une crise sentimentale qui tient lieu d’élément perturbateur. Comme Adrien dans Le Discours, Alan a subi une rupture récente, dont il ne parvient pas à se remettre ni à tourner la page. La situation est d’ailleurs très similaire : une compagne qui se lasse des failles de notre narrateur et le quitte pour un « mâle alpha », la définition de celui-ci pouvant varier. Après le musicien ténébreux à la guitare, c’est cette fois un universitaire rassurant qui vient arracher Lisa des bras de son écrivain de comédie.
Que celles et ceux qui s’imaginent que Fabrice Caro projette en ses personnages beaucoup de lui se résignent : ce qu’Alan ne comprend pas de la littérature, l’auteur qui lui prête vie, lui, l’a très bien saisi. Il n’y a pas de « roman sérieux » qui tienne, on peut aborder des questions existentielles, des angoisses contemporaines, des souffrances universelles, dans un roman à la tonalité en apparence légère et fondamentalement humoristique.
Comme toujours, on rit à la fois avec le personnage, porté par son autodérision, mais aussi parfois de ses erreurs, ses petites manies, ses défauts parce qu’ils exagèrent les nôtres. Moins furieusement désopilant que les précédents romans de l’auteur, ce Samouraï a tout de même pour lui quelques passages particulièrement bien troussés qui génèrent des éclats de rire (on a été particulièrement sensible au doublet heures-minutes). C’est un roman qu’il faudrait lire d’une traite, pour avoir en tête toute la galaxie d’échos convoqués de page en page – avec toujours une même habileté pour tisser la toile qui renferme son personnage, faite d’obsessions, d’associations d’idées étranges –, qui constitue le meilleur atout du récit, l’auteur parvenant à les replacer toujours inopinément.
Si les péripéties romantiques du narrateur font davantage sourire, parce que bien vues, même si pas très favorables à la gent féminine, que rire aux éclats, sa quête littéraire et son problème de piscine sont davantage franchement comiques. La série de résumés fictifs de ses œuvres envisagées rappelle ces bots permettant de créer les scenarii de fictions françaises les plus insipides, les avis de la presse et interviews fantasmées toucheront juste chez toute personne à s’être rêvée créative un jour. Quant à l’évolution de la piscine, embrassant une sorte de réalisme magique, elle révèle un rebondissement insoupçonné qui constitue la plus grosse surprise du roman, et une de ses franches réussites. On n’est pas si loin des ambitions de l’auteur dans Moon River, lorgnant du côté de l’enquête autour d’un fait divers.
Jouant avec son image d’écrivain angoissé, Fabrice Caro crée un personnage qui serait comme son double raté, celui qui partagerait ses craintes d’une façon multipliée et n’aurait pas son talent ni son intelligence narrative, et encore moins sa puissance de travail. Une façon maline de clore cette « trilogie des A », qui nous laisse espérer plein d’autres lettres de l’alphabet.