« Sur un nuage », l’amour comme s’il en pleuvait

Un rêveur la tête dans les nuages, rencontre une femme, et tente de l’embarquer dans son voyage intérieur…

On avait déjà repéré les dessins de l’artiste Le Sonneur chez Flammarion, aux côtés des textes d’Antoine Laurain dans Et mon cœur se serra. Le compagnonnage était fructueux de poésie, et déjà les textes restaient courts, comme de simples guides à travers une histoire flottant en images. Cette fois, Le Sonneur revient seul dans un nouvel ouvrage où le texte a encore été réduit, à peine quelques lignes structurant comme en chapitres une œuvre qui s’abstrait de plus en plus du récit et de la narration.

Toujours au trait et en noir et blanc, l’artiste crée un univers onirique et pourtant uniquement composé d’éléments du quotidien, dont l’agencement singulier produit toute la particularité. D’une page à l’autre, c’est presque toujours le ou les mêmes décors, souvent un ciel nocturne et lunaire ou un sol sombre avec un ciel de jour parsemé de nuages, rarement des intérieurs, parfois des façades de bâtiments, des immeubles aux gros yeux cachés derrière les fenêtres.

Certaines illustrations évoquent des expressions lexicalisées, en lien avec les éléments des cieux : « la tête dans les nuages », « être dans la lune », « viser la lune »… D’autres font écho à une vision presque enfantine du monde : la pluie comme les larmes d’un nuage qui pleure. On croit reconnaître dans certaines planches des références, par exemple à l’univers du Petit Prince, avec un homme seul sur sa planète, ou un drôle de mouton-nuage.

Le plus fascinant est sans doute de relever des motifs récurrents, par exemple un certain nombre d’éléments corporels, détournés pour en faire des parties de paysages, ou qui semblent prendre une place particulière dans le corps d’un personnage, évoquant des sensations ou des émotions : un cœur énorme qui palpite dans la tête, des mains qui semblent chercher la fuite ou le secours, un cerveau au poids des pensées écrasant, des mâchoires prêtes à se refermer sur les petits personnages, des yeux symbolisant l’oppression du regard social… mais on repère aussi d’autres éléments plus disparates, tels que les arbres, des motifs de clé et de serrure, des escaliers, une canne à pêche, des valises, des lettres, une flamme… autant d’indices glanés dans le décor d’une thématique de la relation amoureuse : la flamme de la passion, la lettre d’amour que l’on s’envoie ou les valises que l’on remplit pour aller rendre visite à l’aimé(e), l’arbre symbolisant la relation qui croit avec le temps, la clé et la serrure qui s’emboîtent comme deux moitiés d’un tout, un motif que l’on retrouve vers la fin de l’ouvrage avec plusieurs images qui se suivent pour détailler la fusion progressive de deux êtres en une sphère, une métaphore qui rappelle la vision platonicienne de l’amour.

Au-delà du couple et du ciel, l’autre motif qui parcourt le livre, et qu’on avait déjà en partie pu repérer dans l’ouvrage avec Antoine Laurain, c’est le temps qui passe. Lui aussi a un rapport avec la relation amoureuse : qu’il s’agisse de mesurer l’attente avant les retrouvailles, de faire grandir les sentiments à mesure du temps qui unit les amants, ou au contraire de l’affadissement consécutif au temps qui passe, l’impact de la durée sur les liens humains est palpable, ici sous la forme de montre, de sablier, et surtout des aiguilles, parfois unies et parfois dissociées, et qui peuvent venir transpercer le cœur.

Ce beau livre cartonné, tout en noir et blanc à l’exception du titre rouge sur sa couverture, reste empreint de mystère même après en avoir tourné les pages plusieurs fois. On a l’impression qu’on pourrait y revenir, tenter d’y puiser un sens différent en fonction des moments de notre vie. Un beau cadeau à faire a sa moitié pour le feuilleter ensemble.

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