« Marcello and co », le futur tombé du ciel

Dans une rue de Montpellier, un étudiant plus assidu pour les soirées et la fumette que pour les cours est bousculé par un vieux clochard tombé d’un arbre. Il se met à croiser partout cet homme mystérieux…

Autrefois pilier de l’école Alma, Thomas Vinau a désormais fait sa place dans la collection Sygne de Gallimard, où il a importé son goût pour les personnages de marginaux et de doux rêveurs. À travers ce nouveau récit décalé, il semble quelque part transmettre le souvenir de ses jeunes années, et romancer la naissance de sa vocation d’écrivain. Il est facile d’imaginer qu’il s’est projeté dans ce protagoniste qui n’est pas prénommé, avatar de l’adulescence dans toute sa splendeur : l’envie de vivre, de ne pas sacrifier les plaisirs du quotidien à la satisfaction des normes sociales, l’angoisse face a la nécessité d’entrer dans les contraintes du monde adulte, la fête et l’amitié comme échappatoires. Mais aussi, plus singulièrement, la littérature.

Est-ce l’amour des livres qui a doté le narrateur de cette capacité à enchanter le quotidien ? On peut le croire, car il parsème discrètement ses réflexions d’évocations littéraires classiques, comme un Rimbaud qui aurait remplacé l’absinthe et l’opium de son siècle par les bières et la beuh. Avec son air désabusé, sa façon de se définir lui-même comme un gentil loser, se comparant à ses potes, en particulier Charles, pour les trouver plus rayonnants ou débrouillards que lui, notre anti-héros a pourtant ce don de poésie : celui d’accorder son attention à des détails, de se lancer dans des quêtes du quotidien qui n’intéressent que lui. C’est ainsi qu’il remarque cet homme à l’allure de SDF, étonnamment tombé du ciel, et qu’il se prend de passion pour cette figure qu’il compare à Marcello Mastroianni. Plus le récit avance, plus l’hommage au cinéma est prégnant, avec des citations entières de scènes cultes, notamment de Huit et demi , comme des guides pour que le personnage se trouve lui-même. Qui est-il, cet homme qui sème des terrasses des cafés jusqu’au banc de la plage des petits papiers pliés en quatre ? Écrivain sous couverture, trafiquant discret, pirate dépourvu de navire, ou projection future du protagoniste lui-même ?

Le roman oscille entre les genres, lorgnant du côté du conte, du récit d’aventures, ou de gangsters. C’est finalement plutôt un roman d’apprentissage, une forme d’expérience de pensée qui n’est pas sans rappeler celle de Martin Page dans Comment je suis devenu stupide. Ici, le sous-titre aurait pu être « comment je suis devenu écrivain ». Sur le chemin des textes, il faut apprendre à vivre pour avoir des histoires à raconter. Et vivre, c’est d’abord se rendre disponible aux aventures du quotidien, qui amèneront au fil des pages des listes de mots rares, une fille aux cheveux longs jusqu’aux fesses, un drôle de canard aux grandes pattes, un perroquet cinéphile, un sandwich demi-baguette-frites et d’autres incongruités savoureuses. On ne sait pas bien où ça va, le rythme des phrases chaloupant au gré des élans de son narrateur, entre vagues d’enthousiasme et ressac éméché. On se laisse emporter, et plus on tourne les pages, plus on est récompensé du chemin déjà parcouru par des surprises toujours plus grandes, qui culminent avec la découverte du jardin caché. On est nous aussi, comme un enfant devant un trésor, tout ébaubi(e) de ce que la flânerie montpelliéraine nous réserve. C’est peut-être ça qui définirait le mieux Thomas Vinau : c’est un écrivain de clairière, qui sait aménager dans les intrigues les plus touffues des oasis bizarroïdes et gourmandes auxquelles abreuver ses lecteurs/trices. 

 

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