Antoine Doinel a épousé Christine, et le jeune couple s’est installé ensemble dans un appartement où elle donne des cours de violon, pendant que lui s’adonne à des expériences chimiques et florales dans la cour…
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Après Baisers volés, composé d’une suite d’expériences menant peu à peu Antoine Doinel à quitter l’adolescence, d’un petit boulot improbable à l’autre et d’un intérêt amoureux à un autre, Truffaut se décide avec le quatrième opus de la série à faire enfin entrer son personnage de plain-pied dans une vie d’adulte.
Dans la première partie du long-métrage, scindé en deux par la naissance de l’enfant, le couple semble encore jouer une partition un peu trop difficile pour lui, enfin surtout pour Antoine. L’appartement qui incarne la vie conjugale est le cadre de scènes mythiques, notamment celle de la lecture dans le lit, reprise en clin d’œil par Bergman dans Scènes de la vie conjugale, mais il est surtout symbolique d’une vie rangée, ordonnée, posée, à laquelle Antoine ne souscrit pas totalement. En opposition avec l’appartement, qui est en quelque sorte le royaume de Christine, où elle exerce un travail qui leur permet de gagner de l’argent, et est considéré comme une professeure sérieuse par ses élèves et leurs parents, le petit stand de fleurs d’Antoine dans la cour est l’objet d’expériences qui attisent les commentaires et la curiosité du voisinage comme quelque chose de léger et d’amusant qui ne peut pas être pris au sérieux. En haut, la femme qui a une certaine avance, dans sa maturité émotionnelle en particulier, en bas, le jeune homme qui n’est pas tout à fait encore prêt à s’insérer dans les carcans des attentes sociales de l’âge adulte. Cette première partie est nourrie par une tonalité comique héritée du film précédent. On retrouve ce qui fait le charme du personnage de Doinel, un côté empoté, décalé, maladroit, un peu candide, qui le mène notamment à se faire extorquer de l’argent dans un running gag, et à perdre sa situation professionnelle précaire, comme cela a souvent été le cas dans les opus précédents. Le casting semble s’amuser beaucoup, y compris les personnages secondaires qui incarnent les voisins, parmi lesquels on retrouve un clin d’œil aux activités de détective d’Antoine avec la présence d’un prétendu étrangleur que tout le monde surveille du coin de l’œil. Truffaut aussi s’amuse en parsemant son film de références cinématographiques, en utilisant le décor de l’immeuble dans un sens vaudevillesque, entre les portes qui battent et l’escalier où on se croise, en passant par les interpellations par les fenêtres. La mise en scène est plutôt inventive et dynamique, et cette première moitié et sans doute le passage le plus sincèrement amusant de toute la série les Doinel. Il y a même quelque chose d’assez attendrissant dans le duo entre Antoine et Christine, et les affectations d’Antoine, telles que le fait de ne pas vouloir se montrer nu ou de donner des surnoms aux seins de sa femme le rendent encore relativement sympathique.
C’est pourquoi la bascule du long-métrage est d’autant plus marquante, à partir de la naissance de l’enfant. Déjà à la maternité, Christine repousse son mari qui n’a pas assisté à l’accouchement et auquel elle reproche un manque d’investissement au cours de la grossesse, qui a été largement éludée à l’écran, ce qui nous empêche d’en juger par nous-mêmes. Mais la suite des événements a tendance à lui donner raison. La paternité fait ressortir chez Antoine ses côtés les plus déplaisants : son égoïsme, qui le pousse à déclarer l’enfant sous un prénom qui ne convenait pas à son épouse, mais également à vouloir que son fils accomplisse ses propres rêves de grandeur, puis son inconséquence, lorsqu’il laisse sa femme se débrouiller à la maison avec le bébé pour aller draguer une cliente de son nouvel emploi. Même si les dialogues conservent une certaine légèreté de ton, quelque chose a changé dans le fond. La scène de la révélation, malgré son petit effet comique autour des fleurs, a quelque chose de la tragédie, et le costume de Claude Jade renvoie au terrible destin des geishas ou aux humeurs exacerbées du théâtre no. Sa mise en scène, c’est une façon de confronter son mari mais aussi d’essayer de supplanter sa rivale en adoptant ses propres codes. Christine devient d’autant plus attachante qu’on la voit tiraillée entre sa fierté de femme bafouée, sa capacité à faire le choix de l’indépendance plutôt qu’à se soumettre aux caprices de son mari dont elle perçoit bien les défauts, mais en même temps son amour persistant pour lui, son affection qu’elle est prête à changer en amitié pour conserver de bonnes relations autour de leur enfant, son attachement qui la conduit à répondre au téléphone même lorsqu’il l’appelle trois fois dans la soirée et pour se plaindre de sa nouvelle compagne ! À l’inverse, le personnage de Jean-Pierre Léaud n’a jamais paru aussi insupportable que dans cette deuxième moitié de film, où toutes les scènes d’ennui aux côtés de Kyoko ne font que raviver l’imbécillité et le gâchis qu’a constitué son infidélité. L’humour devient alors une forme d’ironie acerbe mais qui fait toujours mouche.
Pour des spectateurs/trices contemporain(e)s, la fin du long-métrage peut surprendre, en particulier la chute qui fait de l’infidélité une forme de rite de passage, d’épreuve pour accéder à un réel statut de couple d’adultes. À l’heure actuel, on aurait plutôt tendance à y voir la préfiguration du titre du film qui clôt le cycle Doinel, L’Amour en fuite.
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