À trois jours des élections présidentielles, Elizabeth de Raincy, la sortante, découvre qu’un scandale menace son successeur désigné et que l’extrême-droite a toutes les chances de remporter l’élection…
Diastème a de la suite dans les idées : sept ans après Un français, le film sur un skinhead repenti, analysant les rouages des groupuscules d’extrême-droite, qui avait fait beaucoup parlé et craindre des projections mouvementées, le cinéaste poursuit sa plongée dans les arcanes où l’extrême-droite monte en puissance. Cette fois-ci, il ne s’intéresse plus aux petites frappes de la base, mais au sommet de l’État, lorsque les idées fascistes se retrouvent sur le point de surgir dans les institutions.
C’est l’affaire Fillon qui lui inspire l’idée d’un scandale d’entre deux tours capable de faire basculer une élection présidentielle. Pour s’assurer d’un minimum de réalisme, il coécrit le scénario avec deux auteurs d’un livre consacré au mandat de François Hollande, mais pour donner à son film la tension d’un thriller, il s’appuie sur l’aide de Christophe Honoré, pourtant pas vraiment spécialiste du genre. Le résultat est un film crépusculaire, au classicisme revendiqué dans la mise en scène, à la photo sombre où les ors du palais (le film n’a pas été tourné réellement à l’Élysée mais dans plusieurs lieux permettant de recomposer un palais présidentiel assez crédible) sont aussi écrasants que les longs couloirs où l’on ne peut échapper aux regards du personnel. Crépusculaire non seulement dans son esthétique, mais aussi dans son écriture, qui suit l’inspiration de son titre, celui d’un ouvrage de Stefan Zweig, documentant la vie à Vienne avant les guerres mondiales. « Le monde d’hier », c’est donc celui d’avant la catastrophe, et sur tous les plans, le scénario s’attache à le rappeler. D’un point de vue politique, avec le risque de l’avènement au pouvoir de Willem (Thierry Godard), d’un point de vue relationnel avec le délitement de l’union morale entre la présidente (Léa Drucker) et son plus proche conseiller (Denis Podalydès), et même d’un point de vue biologique, puisque Elizabeth se voit confrontée à une grave maladie, qui est la raison intime et secrète l’empêchant de se représenter.
Le contexte est si noir, la tension renforcée par l’usage d’une musique un peu trop grandiloquente et romantique pour son sujet, quoique très belle en elle-même, l’enjeu dramatique clairement exprimé initialement dans le discours de Franck L’Herbier, dépeignant le risque d’un président d’extrême-droite pour la France et toute l’Europe, contribue à l’exigence relevée des prestations des acteurs/trices. Tous et toutes s’illustrent par un jeu tenu, presque minimaliste, d’une grande dignité. À ce titre, celui qui s’en tire le mieux et impressionne par sa présence quasi muette à l’écran, c’est Alban Lenoir, en garde du corps dont le professionnalisme confine à la dévotion, presque à l’amour platonique. Les scènes où il soutient la présidente, unique témoin de ses faiblesses, sont les plus marquantes du long-métrage, celles qui permettent le mieux de ressentir le sacrifice dévolu au pouvoir par celles et ceux qui l’exercent avec conviction, l’infinie solitude dont les responsabilités s’accompagnent, le seul type de lien, informulé et informulable, qui peut encore les rattacher à autrui.
On peut regretter que le cinéaste renonce à un moment au genre du thriller en décidant de ne pas aller jusqu’au bout de l’intrigue mise en place, de nous laisser avec une fin si ouverte. Mais quelque part, ce choix de ne pas résoudre le problème initial est une façon de déplacer le curseur, de considérer que l’intérêt réside moins dans ce qu’il adviendra du pays ou même des protagonistes, que dans les dilemmes moraux qu’il met en lumière dans les coulisses du pouvoir. On pense évidemment à Borgen, qui démontrait déjà si bien qu’on ne peut suivre ses idéaux sans se salir les mains, et la concentration des événements a beau être un peu extrême, elle est le terreau d’une tragédie à la Britannicus, où le doute et la loyauté deviennent inextricables.
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