Phil, ouvrier agricole sur l’île de Lewis, réchappe de justesse à un AVC. Devenu amnésique, il est accompagné dans son retour au quotidien par Millie, la fille de son employeur, qui lui laisse entendre qu’ils avaient une aventure…
Sorti en France sous le titre L’Ombre d’un mensonge, une expression qui n’a pas vraiment de sens et ne correspond que lointainement au contenu, le film Nobody Has to Know, titré d’après le morceau qui apparaît lors de la scène finale, est le cinquième long-métrage réalisé par Bouli Lanners. Le Belge nous avait habitué à des histoires d’errance, des parcours de laissés-pour-compte. Avec ce nouvel opus, il conserve le goût pour des personnages un peu en marge, et pour l’ailleurs comme nécessité pour avancer dans sa vie. Mais par ailleurs, la découverte de l’Écosse lui a donné l’envie de s’aventurer sur les terres d’un nouveau genre, celle du drame et de la romance.
En installant son protagoniste sur l’île de Lewis, habitée par une communauté presbytériennes traditionnelle, il confronte un homme sans religion autre que sa passion de la musique avec des habitant(e)s très marqué(e)s par les coutumes religieuses, telles que les tenues qu’il est obligatoire de porter pour l’office du dimanche, ou d’autres rituels comme le fait de ne jamais aller à la plage le jour du seigneur. En quelques scènes, et un dialogue avec Brian (Andrew Still), le petit-fils de son employeur, le film nous présente Phil comme l’étranger, celui qui interroge ce qui pour les autres relève de l’évidence.
Pour autant on ne peut pas dire qu’il ne soit pas bien accepté, et en effet lorsqu’il est victime d’un AVC, son ami Brian informe toute la communauté qui s’inquiète de son devenir. En plaçant un personnage qui tait ses souffrances et préfère poser des questions que donner ses réponses, dans un univers dominé par une rigueur morale austère et taciturne, symbolisée par le surnom donné a personnages de la tante Millie (la Reine de glace), le cinéaste s’embarque dans une histoire qui devra forcément se passer en grande partie de mots.
Pour les spectateurs/trices, comprendre les enjeux du récit, c’est alors se fier à quelques détails, s’appuyer sur des réactions infimes, des regards et des expressions, pour tenter de saisir ce qui se joue entre les personnages. On pourrait craindre que leurs réserves nous empêchent de nous attacher, mais ce n’est pas le cas. Car on pressent que ce n’est pas parce qu’ils/elles s’étendent peu à l’oral sur leurs sentiments que ceux-ci ne bouillonnent pas à l’intérieur, ce que le jeu de Michelle Fairley reflète particulièrement. Un bon exemple est l’attachement rapide et très fort qui unit le jeune Brian à Nigel, le dalmatien retrouvé chez Phil après son AVC. Et finalement les rapports humains ne sont pas très différents de ceux de l’ouvrier agricole avec ce chien : une forme de reconnaissance de l’autre comme étant son alter ego, des élans d’autant plus intenses qu’ils sont réprimés et tus.
Si le scénario n’est pas follement original, il a le mérite de mettre en avant des protagonistes bien différents de ce qu’on retrouve d’habitude dans le genre de la romance : des personnages qui ont dépassé les 50 ans, avec des physiques de Monsieur et Madame Tout-le-monde, des professions modestes, loin de milieux vendant du rêve. Et pourtant, entre la vieille fille du coin et l’étranger tatoué, se dégagent une sensualité et une tendresse indéniables. Il faut dire que Bouli Lanners réussit à sublimer de sa caméra chaque élément de son intrigue. Le décor de l’île de Lewis est d’une beauté à couper le souffle, et il lui rend parfaitement hommage car chaque plan pourrait être qualifié de « perfect shot ». À la fois signifiants (un surcadrage évoquant l’enfermement de Millie dans son mensonge, des similitudes de postures et de cadres reliant les personnages même lorsqu’ils sont séparés…), poétiques (un coucher de soleil sur la mer, le vent qui fait voleter le sable autour d’un marcheur…), mais jamais dans la démonstration, conservant une forme de simplicité, ces plans magnifiques composent une histoire d’une grande pureté, de même que la variété de la bande-son, associant les morceaux de Soulsavers qui ont inspiré l’écriture, des chansons de groupes locaux, le piano de Sébastien Willemyns et les nappes musicales planantes de Pascal Humbert, crée une cohérence inattendue d’un point de vue émotionnel.
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