« Les liens sacrés du mariage », des nouvelles de l’hymen

De la demande à la séparation, de l’adultère au pardon, du divorce aux retrouvailles, les couples se font et se défont au gré de quatorze nouvelles…   

Déjà presque 10 ans qu’on a eu la joie de découvrir la plume de Franck Courtès avec son recueil Autorisation de pratiquer la course à pied et autres échappées. Après plusieurs romans souvent centrés sur la famille, mais aussi un livre de souvenirs de son métier de photographe, l’auteur revient à ses premières amours : les nouvelles. Ce genre hélas trop peu souvent publié trouve en lui un digne chantre qui sait manier le format court pour offrir des tranches de vie significatives. Il ne faudrait pas se fier au texte d’ouverture, « La demande en mariage », entrée en matière spirituelle et maline. Car la tonalité dominante dans ce recueil est plutôt mélancolique, nostalgique d’un amour évanoui, amère face à un présent décevant, ou empreinte d’une douceur où pointe souvent la maladresse des hommes pour exprimer leurs sentiments.

Qu’est-ce qui a changé, après de 10 ans, chez le nouvelliste ? Il cherche peut-être moins la chute et l’éclat, et a encore gagné en nuances dans sa capacité à décrire avec finesse les interactions sociales les plus ambivalentes, les plus complexes. Sa plume concise sait en quelques lignes ou en un dialogue nous faire saisir les implications d’une relation, la violence sous-jacente, les rancœurs tapies dans l’ombre, l’amour qui ne veut pas s’effacer comme une persistance rétinienne. Pourtant, on ne peut pas dire qu’il aille toujours droit au but. Il s’autorise le temps de la flânerie, celui de la réflexion, de la métaphore, de laisser en ces personnages éclore comme une révélation la réalité de leurs sentiments. Il a beau ne plus être photographe, lire une nouvelle de Franck Courtès donne toujours un peu l’impression de voir apparaître l’image sur une feuille de papier photo sortant du bac du révélateur. Par petites touches délicates, il fait germer en nous la compréhension de ses personnages et l’empathie à leur égard.

Bien que le recueil tourne autour du couple, et du couple marié, installé, généralement depuis assez longtemps, on y retrouve tout de même en filigrane nombre de thématiques naturelles de l’œuvre de Franck Courtès. Le couple reste parfois indissociable d’autres relations intrafamiliales : la relation père-fils (« Le château de sable », « Un père étranger »), la relation fils-mère (« Tu veux vraiment qu’on en parle ? ») mais aussi des relations sociales au sens plus large : envers des amis ou connaissances, des voisins, des gens que l’on cherche à impressionner, ou ne serait-ce que le serveur qui vient en apportant les plats interrompre une conversation intime. Et puis ce fonds social dont l’écrivain ne se départi jamais tout à fait, en particulier en liant les rapports sociaux de classe à la fracture Paris-province, qu’il avait déjà largement exploré dans Sur une majeure partie de la France et que l’on retrouve ici à travers de nombreux personnages ayant quitté Paris pour la campagne (« La perle », Entre deux eaux », « Quelque chose de risqué », « Le grand entretien »). C’est parfois l’espoir d’un nouveau départ, c’est aussi souvent le signe du vieillissement, lorsque la maison de campagne, résidence secondaire signe d’opulence, devient la résidence principale d’une retraite parfois vécue comme une mise sur la touche. On sent bien que l’auteur lui-même a connu ce changement de décor, et qu’il en garde un regard mi-tendre mi-corrosif sur les Parisien(ne)s.

Elle nous avait manqué, la plume de Franck Courtès, dans ces textes brefs qui réfutent l’obligation de la chute, qui cherchent moins sans doute à divertir ou à surprendre qu’à faire toucher du doigt la profondeur et la réalité des émotions qui traversent nos contemporains. À chaque lecture c’est comme si d’une bribe de conversations surprise dans la rue entre deux inconnu(e)s, on pouvait saisir en quelques pages, en quelques mots, une vérité intime, et que la prise de conscience des failles, des doutes, des manquements humains ne faisait que donner l’impulsion de les aimer davantage. 

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