Buddy vit dans une rue de Belfast où cohabitent en bonne entente protestants, comme sa famille, et catholiques. Mais après des émeutes, la situation devient violente. Son père qui travaille à Londres envisage de faire déménager la famille…
Movie Challenge 2022 : un film en noir et blanc
Rares sont les cinéastes à se retrouver avec deux films à l’affiche en même temps, mais avec les aléas des reports dus à la crise, tout arrive, et pour Kenneth Branagh, c’est un grand écart total qui s’opère en cet hiver. D’un côté, sa nouvelle adaptation d’Agatha Christie, avec casting de stars à casseroles et pyramides sur fond vert. De l’autre, son film autobiographique en noir et blanc racontant une enfance irlandaise. Deux salles, deux ambiances.
Dans le registre de l’intime, Belfast nous prend par la main, du présent en couleurs au passé en noir et blanc. Le présent, ce sont des plans d’immensité évoquant le voyage, le transit. Le passé, c’est une ville réduite à un quartier, quasiment une rue. Le plan-séquence d’ouverture qui la présente pose les limites de l’univers du protagoniste, petit garçon surnommé « Buddy », à hauteur duquel nous vivons à la fois le quotidien insouciant de l’enfance et les traumatismes de la guerre civile, le tout déjà encapsulé dans cette introduction.
C’est toute la saveur du film qui s’exprime dans cet improbable collusion. Celle du quotidien de l’enfance, marqué par ses événements propres (faire une bêtise en se laissant entraîner, tomber amoureux de la première de la classe, aller voir son grand-père malade à l’hôpital, recevoir des cadeaux inespérés à Noël…) qui rencontre au bout de la rue l’Histoire d’un pays déchiré par une opposition religieuse, dont on voit bien qu’elle n’est que le prétexte pour les petits voyous du coin à affirmer leur pouvoir violent. La famille de Buddy, aussi lambda qu’elle puisse paraître, est en fait particulièrement en avance sur son temps : une maman qui gère seule le foyer et fait pousser droit ses deux garçons pendant que le père est à l’étranger (Caitríona Balfe, à la fois pragmatique et solaire), un papa qui prône une ouverture d’esprit et au monde qui détone (Jamie Dornan, tiraillé mais droit dans ses bottes), des grands-parents toujours prêts à accompagner de leur sagesse d’ancien(ne)s la jeune génération (savoureux Ciarán Hinds et merveilleuse Judi Dench). À tous les âges, dans cette famille, ce sont l’amour, la tendresse, l’humour qui dominent. Illuminés par le regard de Buddy (Jude Hill), les couples des deux générations qui le précèdent dansent leur vie avec toujours une réplique qui fait mouche au coin des lèvres, dans une séduction jamais mièvre puisqu’elle est vécue du point de vue de l’enfant.
Cette douceur et cette fraîcheur des instants familiaux ne fait pourtant jamais oublier la crise dramatique qui secoue le quartier : dès la première émeute, la tension est palpable, et ne s’éteint jamais. Comme dans Jojo Rabbit, la chaleur du foyer tente de s’opposer à la froideur brutale qui s’est emparée du dehors. Et le poids politique s’insinue dans les relations interpersonnelles, comme un poison qui pousse au changement. S’allier, partir, résister ? Pour Buddy, Belfast fait figure de paradis, un paradis déjà perdu. Car tout le film, bien que narré au présent, est nimbé de l’aura des souvenirs. L’enfance n’est jamais si belle, si pure et si émouvante que quand c’est l’homme mûr qui se la remémore et la revisite, enjolivant les petites joies de tous les jours, accentuant les contrastes. Ce voyage intime, le réalisateur réussit à nous le faire parcourir à ses côtés, rivés aux semelles de Buddy, à ses yeux grands ouverts comme pour capturer un monde qui va finir. Si la technique est travaillée, avec des mouvements de rotation de caméra particulièrement bien placés pour donner du souffle au récit, la mise en scène ne cède jamais à l’esbroufe et la simplicité du récit l’emporte toujours. De Belfast des sixties, il reste comme un croquis, une épure à laquelle on aurait ajouté l’émotion par la grâce des interprètes qui l’habitent, le temps de la fiction.
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