Vincent Martin est interné suite à un traumatisme qui l’a laissé partiellement amnésique. Son supérieur l’accuse de tentative de meurtre. Quelque temps plus tôt, l’employé avait déposé plainte contre lui pour harcèlement, après le suicide d’un collègue…
Jusqu’ici plutôt auteur de polars, Pierre Filoche arrive en cette rentrée littéraire avec une proposition plus proche d’une littérature sociale. En effet, il s’attelle au sujet du harcèlement professionnel, avec comme narrateur un homme victime de son supérieur, prêt à tout pour le pousser à démissionner. Informaticien, Vincent Martin a assisté à la descente aux enfers de son collègue Naudin, poussé au suicide, avant de faire lui-même directement les frais d’ordres délétères appliqués avec zèle. On pense bien sûr à des œuvres cousines autour de ce même thème, des Heures souterraines à Carole Matthieu en passant par Corporate ou Personne ne sort les fusils.
Mais la singularité du récit tient à son atmosphère mystérieuse et à sa fuite en avant. Échappé de l’institution psychiatrique où il avait été placé, le narrateur à l’esprit brumeux, dont les pensées se lisent sur les lèvres, prend le train en direction d’une petite ville côtière qu’il a connue dans un lointain passé.
Nous voici dans une forme de cavale dont toute la tension semble s’évaporer, du fait de ce choix de point de vue interne d’un personnage comme flottant dans sa situation. Entre ses trous de mémoire et l’effet de ses médicaments, Vincent Martin nous offre un regard sur le monde décalé, et c’est surtout à Isabelle Minière que l’on pense alors, en particulier à son opus Je suis très sensible. Y a-t-il vraiment des esprits qui rôdent dans le manoir où il trouve refuge ? Est-il réellement hypnotisé par sa thérapeute ? A-t-il croisé son ancien supérieur dans la rue ? On peut penser que tout n’est que le fruit de son imagination angoissée, mais pourtant, il y a bien ce personnage de Baraduc, mi-flic mi-homme de main, qui le suit comme l’a suivi Virginie, son avocate.
La galerie de personnages secondaires hauts en couleur qui habite le manoir de Wassel apporte un côté délicieusement anachronique au récit, avec son majordome qui sert le dîner mais invite aussi les convives à partager l’apéritif, son décliniste passionné d’Histoire qui constitue un musée de bric et de broc dans les sous-sols, et ses deux sœurs toutes deux entichées du cas de Vincent Martin qui leur paraît pour l’une une injustice liée à son ex-mari, pour l’autre un cas psychologique d’amnésie intéressant.
De promenades dans la brume en conversations politiques, l’être absent à lui-même des premières pages gagne en consistance à mesure de ses interactions avec autrui, et des souvenirs qui lui reviennent. Pour les lecteurs/trices, si l’on s’attache au protagoniste, c’est sur le long terme, apprenant à le connaître par petites touches en même temps que lui-même se reconnecte à son identité. Derrière l’aspect ludique du récit dont les tenants et aboutissants s’éclaircissent progressivement, la réalité sociale dépeinte est tout sauf légère, et la critique d’un monde du travail déshumanisé affleure. Mais en décalant le texte hors du cadre de l’entreprise, Pierre Filoche rend son propos moins frontal, et sans doute capable de toucher un lectorat qui ne serait pas forcément allé directement lire un essai sur la cruauté de l’entreprise.
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