Jeune auteur, Karim D. est invité dans une émission littéraire pour présenter son deuxième roman, sur sa mère algérienne. Mais dans la soirée, des tweets qu’il a publiés sous le pseudo d’Arthur Rambo sont exhumés…
On avait laissé Laurent Cantet dans une certaine fascination de la radicalisation des jeunes avec L’Atelier, où déjà la figure de l’écrivaine était largement trouble. Il n’est donc pas étonnant de le retrouver à s’emparer de la polémique autour des tweets de Mehdi Meklat pour en faire une fiction à peine décalée par rapport à la réalité.
Il faut reconnaître une ingéniosité dans le choix du pseudonyme qui donne son titre au long-métrage : Arthur Rambo, c’est renvoyer à la fois à la finesse poétique mais provocatrice de Rimbaud, une jeunesse flambée par les deux bouts mais hautement créative, et en même temps à la figure combattive du personnage incarné par Stallone. Deux références qui peuvent parler à des milieux quasiment opposés, mais qui ont en commun une forme de colère et de rébellion (là où dans la réalité, le pseudonyme de l’auteur jouait surtout sur des sonorités franco-française).
Le sujet est quasiment inépuisable en termes d’analyse, qu’elle soit sociologique, politique, psychologique et même littéraire. Qu’avait vraiment en tête le jeune homme qui a tenu ce compte crachant sa haine sur les cibles les plus usitées ? Pourquoi n’a-t-il même pas pris la peine de supprimer ce passé pour le moins gênant quand il a senti le succès arriver ?
Il y avait de quoi faire un film profond, avec des dialogues subtils et précis, mais ce n’est pas vraiment ce qui nous est servi. On peut même avoir l’impression que Cantet et ses co-scénaristes Fanny Burdino et Samuel Doux passent largement à côté de leur sujet. Pourquoi nous infliger des scènes de fête bruyantes et inutiles, et sabrer les confrontations ? Les dialogues paraissent superficiels, peu incarnés, coupés à chaque fois qu’on commençait à toucher du doigt quelque chose qui aurait mérité d’être développé. Il faut attendre la dernière demi-heure du film pour que le protagoniste commence à s’exprimer un peu et, face caméra, entame un léger début de réflexion sur ses motivations, bien vite abandonné, alors que c’était tout l’intérêt du projet.
On peut se demander si l’équipe du film n’a pas eu un peu peur de son sujet. À vouloir faire preuve de bienveillance envers son personnage, la caméra glisse sur lui sans s’y arrêter, ne nous fait jamais entrer dans son esprit. Karim reste une façade, un cliché, celui d’un type boursouflé d’un ego d’autant plus encombrant que fragile, prompt à rejeter la faute sur les autres, les médias, les réseaux sociaux, la fachosphère ou n’importe qui d’autre que lui. Et d’ailleurs le film lui donnerait presque raison, opposant à ses demandes incessantes de soutien les réactions outrées relativement hypocrites de celles et ceux que rien ne dérangeait tant que Karim était en vogue et vendeur. Cantet comme son interprète Rabah Naït Oufella, ni assez colérique ni assez flamboyant pour le rôle, qu’on préfère toujours dans une douceur qui lui sied davantage, se retranchent derrière une critique facile de Twitter. Or sur ce point, le film est très partiel et approximatif, mentionnant d’autres hashtags que ceux qu’on voit défiler à l’écran, comme si les mots n’avaient pas justement leur importance, et présentant la haine comme seule clé du succès, quant au quotidien il suffit de raconter une anecdote impliquant un enfant ou poster une vidéo d’animal mignon pour exploser les compteurs. Est-ce du poids de son modèle réel, ou des partis-pris d’un cinéaste tenté de se faire l’avocat du diable que souffre Arthur Rambo ? Sans doute un peu des deux, et le résultat déçoit par sa superficialité de traitement d’un thème qui aurait mérité mieux.
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