« Dans la forêt glacée » : la fièvre dans le sang

La famille de Chloé se retrouve pour fêter les 50 ans de mariage des grands-parents. Alors que tout le monde a le cœur à la fête, pour Chloé, le secret qui la lie à son frère aîné Gabriel vire au drame…

Frédérique Clémençon n’en est pas à son coup d’essai, mais on l’avait découverte plus particulièrement avec Les Méduses, un recueil de nouvelles croisées composant une fresque hospitalière passionnante et déjà relativement glacée. Cette fois, c’est au cœur d’une seule et même famille qu’elle nous entraîne, mais une famille « à tiroirs », où il faut prendre le temps de quelques chapitres pour s’y repérer. Le temps d’un week-end, pour célébrer les 50 ans de mariage des grands-parents, couple franco-espagnol, trois couples et leurs enfants se retrouvent dans une maison de location en bord de mer. Parmi les cousin(e)s, c’est Chloé qui nous sert de guide.

Ce qui pourrait être un rassemblement familial classique, avec ses disputes et ses révélations inévitables, est d’emblée présenté sous le jour tragique, car le récit commence quasiment par la fin. C’est un schéma qui a fait ses preuves en littérature : ouvrir sur un drame puis nous donner peu à peu les clés pour comprendre comment on en est arrivé là (l’un des plus brillants exemples du genre reste Le complexe d’Eden Bellwether).

S’il faut attendre la moitié du volume pour que l’explicitation soit totale, il suffit d’un geste un peu étrange, précisément décrit par la narratrice, pour que l’on sente, que l’on sache. Et tout s’obscurcit d’un coup. L’autrice y va, frontalement, sans détours, mais non sans poésie quelque fois. Elle nous confronte à ce qu’on préférerait ne pas savoir, au loup dans la bergerie, déguisé en gentil. Si la fin cherche un peu trop l’atavisme derrière l’horreur, on aurait préféré essayer de percer l’esprit du coupable, comprendre pourquoi, comment. Mais dans la tête de l’innocente victime, dont les réactions corporelles ponctuent de parenthèses le récit, plus de questions que de réponses.

Ce qui frappe, c’est le contraste entre le secret qui ronge, nocturne, sanglant, puant, et le quotidien ensoleillé, les enfants qui courent essoufflés, les contes qu’on se lit sous la couette, les débats sur les programmes télé à autoriser aux petits. On croirait cela impossible, que le monde continue de tourner quand une telle chose existe. Et pourtant, Chloé reste aussi une grande sœur, une fille, une cousine, une amie, une passionnée de photographie, elle n’est jamais seulement victime.

On peut s’interroger sur les conclusions du roman : était-ce trop simple de résoudre le problème majeur de cette façon certes spectaculaire, mais rare ? Quelles pistes l’intrigue pourrait-elle offrir aux personnes rencontrant une situation proche de celle de la protagoniste ? Certes, un roman n’a pas vocation didactique. Et si l’on n’est pas pleinement satisfait par cette clôture, il reste toujours le magnifique travail d’atmosphère intérieure exécuté avec brio par cette autrice à suivre.

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