C’est l’été, Iris est en vacances à Ouessant avec son grand frère Sacha et leurs parents. Un jour, leur mère disparaît sans laisser de traces. Comment vivre à dix ans quand on ne sait pas ce qu’est devenue sa maman ?
Dans une très belle et riche rentrée littéraire d’hiver, les titres se suivent et se ressemblent parfois – il n’aura échappé à personne qu’on est passé ici des Méduses n’ont pas d’oreilles aux Homards sont immortels – mais les styles et les histoires nous surprennent. Derrière l’apparente anecdote animalière du titre, chez Sophie Pujas comme chez Adèle Rosenfeld, il est question d’un drame intime. Cette fois, ce n’est pas un sens que perd la jeune protagoniste, mais sa mère. Elle la perd comme on égare un objet, non pas de la perte crue et matérielle d’un décès dont le corps serait l’empreinte mais comme un subit évanouissement, comme si elle n’avait jamais existé. Il y a eu ce début de vacances, avec ses anecdotes, ces moments de partage, ces humeurs et cette remarque maternelle blessante pour l’enfant, avide de partager une histoire, et puis, plus rien.
Les romans qui concernent des disparitions familiales ont toujours une petite musique particulière, une façon de remplir le vide par les mots, mais jamais pour ne rien dire. La jeunesse du personnage dont le point de vue est adopté permet un style à sauts et à gambades, qui volette d’une pensée à une autre, d’un sujet à un autre. Tantôt il est question des amours de vacances de son frère aîné, tantôt du caractère de son père, tantôt des souvenirs avec sa mère, tantôt des réactions de ses camarades de classe. Mais tout cela transparaît comme à travers un brouillard, car en perdant sa mère, Iris a aussi perdu la candeur et la spontanéité de l’enfance.
Le roman se fait objet multiple, en insérant aussi bien des citations littéraires qu’une liste de « films doudous », ou bien encore des photographies trouvées dans des habitations à vider par le père brocanteur. On retrouve dans ce bric-à-brac intime et culturel un mélange d’éléments qui avaient pu séduire dans d’autres œuvres : la capacité à faire des listes et entrecouper son intrigue de celles-ci de David Foenkinos, l’utilisation de visuels au milieu du texte comme éléments construisant le portrait psychologique d’un personnage comme Monica Sabolo a pu le faire dans Tout cela n’a rien à voir avec moi, le goût d’inventer des vies imaginaires à partir de photos d’inconnus comme dans Les gens dans l’enveloppe.
Mais quand bien même chacun de ses aspects aurait pu être déjà vu/lu ailleurs, leur assemblage particulier donne à ce petit livre une saveur singulière, comme une fantosmie agréable ou une mélodie étrange qui resterait en tête. On s’attache à cette enfant qui fait ce qu’elle peut pour continuer à vivre à partir du point de rupture, à cette famille brinquebalante et même à cette mère dont le portrait en creux dans l’absence révèle toute la présence et le charisme. Le traitement de sa disparition, malgré le mystère, ne joue pas tant d’ailleurs sur la création d’un suspense, car du point de vue enfantin le temps semble arrêté, comme s’il n’y avait pas de futur possible ni donc de résolution. C’est ce temps flou, suspendu, que l’autrice nous permet d’explorer, un temps de repli dans l’esprit de sa jeune protagoniste. Ce qui n’empêche pas d’être surpris(e) par l’option choisie pour clore le récit, le rendant à la fois moins sombre, et plus cruel.
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