Doc Sportello, détective privé tendance hippie, est contacté par son ex Shasta, désormais amoureuse d’un magnat de l’immobilier, qu’elle croit sur le point d’être enlevé par sa femme et l’amant de celle-ci. Mais cette affaire entraîne Doc dans une confrontation avec son meilleur ennemi le policier Bigfoot…
Paul Thomas Anderson n’a peur de rien, pas même de s’attaquer à l’adaptation du roman de Thomas Pynchon aux 130 personnages, si dense et complexe que l’on trouve sur Internet des diagrammes et index pour aider les lecteurs/trices à s’y repérer.
Longtemps hanté par ce projet, auxquels étaient attaché(e)s Robert Downey Jr et Charlize Theron, le cinéaste change d’avis après le tournage de The Master et élimine l’acteur choisi, au prétexte de son âge, préférant renouveler sa collaboration avec Joaquin Phoenix, et faire entrer sur le projet Katherine Waterston. La jeune femme est celle par qui le danger arrive : toujours amoureux de Shasta, Doc s’engouffre dans l’affaire qu’elle évoque, pour tenter de retrouver le nouveau compagnon de son ex, puis celle-ci lorsqu’elle vient à disparaître à son tour.
Narrée par la voix off de « Sortilège », un personnage ajouté à l’intrigue par PTA à l’écriture du scénario pour offrir quelques repères aux spectateurs/trices et permettre de replacer des formules pynchoniennes, dans un style effectivement étonnamment littéraire pour une voix off, l’enquête se révèle particulièrement compliquée à suivre. De très nombreux personnages sont cités au fil des conversations, dont certains n’apparaissent jamais à l’écran, ou seulement bien plus tard, et sans être forcément directement nommés (par exemple Puck Beaverton), des organisations mystérieuses aux multiples facettes sont présentes en sous-main (California Vigilante et The Golden Fang). On peine un peu à voir où tout cela nous entraîne, même si l’on comprend au bout d’un moment que la police est impliquée dans les magouilles autour de la disparition de Micky. S’il faut rester extrêmement concentré(e) durant le visionnage pour ne pas être complètement paumé(e), cela n’empêche pas d’apprécier la reconstitution d’un univers, celui de la Californie du tournant des seventies. Les costumes et coiffures sont particulièrement travaillés, et le look de Doc Sportello, inspiré par celui du chanteur Neil Young (dont on peut d’ailleurs reconnaître « Harvest » dans la bande-son), vaut à lui seul le détour. Joaquin Phoenix s’en donne encore à cœur joie, dans un rôle moins sombre que dans The Master mais tout aussi paumé et addict, cette fois davantage à la fumette qu’à l’alcool fort.
En dépit des tas de trafics et de la violence qui sous-tend le récit, émaillé par les disparitions – définitives ou non –, on ne peut pas nier qu’il émane de l’ensemble quelque chose d’assez plaisant et joyeux, porté à la fois par le rythme soutenu, l’esthétique colorée, des moments d’humour, et une certaine tendresse pour les personnages, notamment le détective dès lors qu’il se prend d’affection pour Coy (Owen Wilson) et se donne pour but de l’aider à rejoindre sa famille.
Derrière l’aspect rebondissant de l’enquête, où les opposants prennent le visage de narcotrafiquants étrangers autant que de néo-nazis locaux, on saisit par bribes une critique de l’avènement de l’Amérique de Nixon. Doc Sportello incarne la fin des sixties, de la liberté que symbolise son duo avec Shasta s’amusant avec la planche de Ouija et courant sous la pluie ou sur la plage. Désormais le privé attire surtout la commisération, quand il n’est pas utilisé comme appât, et même Shasta a cédé aux sirènes du capitalisme dont l’emblème est l’investisseur immobilier millionnaire.
Votre commentaire