« Double mise », qui père gagne

Alors qu’il manque d’argent pour les funérailles de sa mère, John rencontre Sydney qui propose de l’aider et de lui apprendre comment gagner facilement de l’argent au casino…

Également connu sous les titres Hard Eight ou Sydney, le premier long-métrage de Paul Thomas Anderson a connu quelques déboires de production qui expliquent ce flou nominal. Le cinéaste adapte en long son court-métrage Cigarettes and coffee (1993) grâce à un producteur rencontré à Sundance. Mais un premier conflit se noue autour du casting, le jeune réalisateur refusant de revenir sur ses choix au profit de personnalités plus en vue. Fan de Philip Baker Hall depuis Midnight Run, il tenait absolument à lui faire endosser le rôle de Sydney. Et de fait, l’homme évolue avec aisance dans le milieu des casinos, toujours entre l’élégance du gentleman et une attitude de parrain de la pègre. Souvent proche de son visage, la caméra semble, à l’instar des spectateurs/trices, tenter de sonder ce personnage secret qui s’offusque de l’image que les autres peuvent projeter sur lui mais ne leur donne aucune information tangible pour mieux le connaître.

Le casting est complété par John C. Reilly, qui deviendra un compagnon de route de PTA au long cours, apparaissant dans ses deux films suivants (et dans Licorice Pizza), par Gwyneth Paltrow, qui tourne en parallèle dans Seven, et par un Samuel L. Jackson qui n’en est déjà plus à son coup d’essai. Ce quatuor incarne une Amérique plus ou moins désespérée, flirtant avec la précarité, et espérant trouver dans l’univers du jeu (et ses à-côtés bien sombres) une façon de se refaire un pécule rapidement. Mais la présence de vieux briscards comme Sydney dans le circuit prouve bien qu’une fois entré(e), on ne sort jamais vraiment de cet univers. Si le début du film, à Vegas, nous donne à voir le système Sydney permettant de gagner de quoi subsister, dans une combine filmée avec un montage dynamique entre les différents guichets de l’établissement, la suite du long-métrage s’éloigne peu à peu du sujet du jeu. On sent que l’écriture du film a pu inspirer un Schrader pour The Card Counter, avec un casino qui du sujet central au début devient l’arrière-plan d’une réflexion sur la transmission, l’échec et la rédemption.

Si la version qui est parvenue jusqu’à nous dure environ 1 h 40, et peut déjà paraître assez lente et contemplative par moments, ce n’est pas le montage original souhaité par le réalisateur, qui n’a pas eu le final cut et prévoyait à l’origine une version de 2 h 30. En raccourcissant le projet, la production a sans doute pris moins de risques en termes commerciaux, mais a également influé sur le destin des personnages. À l’origine, le métrage devant porté le prénom de son protagoniste s’attachait à son parcours jusqu’à sa chute. Ce qu’il en reste, c’est la révélation aux deux tiers de la durée de la raison derrière l’apparent hasard qui a réuni Sydney et John. À partir de la levée du secret pour les spectateurs/trices, c’est tout un pan du passé du personnage qui s’ouvre à nous, et ce qui n’est pas explicité peut être deviné. Sous son apparente bienveillance, Philip Baker Hall incarne une évolution liée au vieillissement. À mesure que la peur de la mort s’instille en lui, son personnage tente de réparer les erreurs commises dans sa jeunesse, par exemple en aidant John financièrement. Mais peut-on construire une relation quasi filiale sur un mensonge par omission de cette ampleur ? A-t-on le droit à une telle deuxième chance après des exactions aussi terribles ? C’est la réponse à ses questions qui change avec le final cut décidé, qui propose une version plus optimiste, mais sans doute moins éthique, de ce parcours dans un univers où tout ce qui brille n’est pas d’or.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :