On pensait l’année cinéma 2020 bousculée, 2021 le fut plus encore. Et pourtant, en dépit de la fermeture des salles presque six mois sur douze, c’est tout de même une cuvée si excellente que produire un top 10 a été un casse-tête et un crève-cœur. Parmi les 106 œuvres de 2021 visionnées cette année, voici celles qui ont su tirer leur épingle du jeu…
10. ex-æquo : Slalom et Gagarine
Deux premiers longs-métrages français qui ne manquent ni de maîtrise ni d’audace. En apesanteur, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh envoient Alsény Bathily nous présenter la cité comme capsule de poésie. En pesanteur, Charlène Favier fait crouler Noée Abita sous l’omniprésence d’un entraîneur qui enfreint la ligne. Extraordinaire travail du son et de l’image pour faire naître des histoires qui prennent aux tripes et collent des frissons. Et une écriture qui tient en défaut les clichés sur des sujets compliqués.
9. Un héros
C’est le retour en Iran et en grâce d’Asghar Farhadi qui nous livre LE grand film éthique de l’année. Dans le regard d’Amir Jadidi passent tour à tour le désir de respectabilité, la honte, la culpabilité, la colère, la fierté. Derrière les non-dits et les mensonges, c’est une société entière qui perd le sens des valeurs, la tête tournée par les médias et le regard des autres. Et si en 2021 « être quelqu’un de bien » ne voulait plus rien dire ?
« Jacques Audiard va faire une comédie. » Jehnny Beth a eu du mal à y croire, nous aussi. Pourtant l’adaptation des bandes-dessinées d’Adrian Tomine version tours du XVIIIe a un charme fou sous l’œil averti du cinéaste, combiné aux plumes de Céline Sciamma et Léa Mysius, et aux capacités d’improvisation de ses interprètes. En noir et blanc et pourtant tellement de notre temps, ce portrait croisé de la génération Y paumée laisse ses plans les plus réussis imprimés sur la rétine.
7. Le Discours
Il ne savait pas qu’adapter Fabcaro était impossible alors il l’a fait. Laurent Tirard surprend avec une mise en scène pétillante et pleine de trouvailles visuelles comme un écrin à la prestation hors normes d’un Benjamin Lavernhe en grande forme dans la peau d’Adrien, qui l’est un peu moins. Ultra drôle, mais aussi touchant, ce portrait d’un angoissé en plein repas de famille nous rappelle forcément quelques souvenirs de nos propres moments de gêne. Et ici, on se souvient aussi de la standing ovation qu’on a lancée au festival d’Angoulême.
6. First Cow
Le grand retour de Kelly Reichardt a failli ne jamais passer par le grand écran et ç’eut été fort dommage de se priver de ses plans sublimes sur l’infiniment petit humain dans l’immensité de la forêt rehaussée par le format 4:3. En même temps que l’humilité, la douceur et la subtilité de cette revisite totale du western, avec ses personnages aux antipodes des clichés de la masculinité chers au genre, on a envie de saluer le distributeur du film, Condor, pour l’une des plus belles histoires de l’année, autour d’une œuvre fièrement défendue jusqu’au succès.
Mia Hansen-Løve n’a pas fini de nous emmener en voyage. Après Maya, qu’on avait déjà beaucoup aimé, direction l’île de Fårö pour une mise en abyme de la création. La fiction dans la fiction flirte avec le fantastique telle Mia Wasikowska avec Anders Daniselsen Lie, sur une bande-son succulente qui ressemble à une playlist de Clara Luciani, alliant « Summerwine » et « The Winner takes it all ». S’aimer, se désaimer, créer, douter, sous l’égide de Bergman, la promenade nordique est pleine de promesses tenues par un quatuor dont on n’aurait pas osé rêver.
Chouchou des festivals en 2020, passé par le petit écran avant le grand, À l’abordage est aussi insolite dans son parcours que dans sa construction. Sous ses airs de film de vacances sans prétention, le nouveau long de Guillaume Brac s’offre le luxe d’un retournement rare : croiser les trajectoires de ses personnages pour faire des seconds rôles du début les protagonistes du dénouement. Une ode aux gentils, qui loin de passer pour des cons, finissent parfois par remporter le pompon. Solaire sans être voyeur, sociologique sans être pédant, craquant sans être mièvre, À l’abordage ! a pris d’assaut nos cœurs de cinéphiles.
3. Guermantes
Honteusement passé sous les radars, le nouveau film de Christophe Honoré est pourtant son projet le plus ambitieux. En filmant en pleine pandémie, le temps d’une semaine de répétitions avortées, le quotidien de la troupe de la Comédie-Française sous le coup d’une annulation de son spectacle « Du côté de Guermantes », le cinéaste joue avec ses partenaires d’exception sur l’ambiguïté entre documentaire et fiction. C’est beau une troupe la nuit, quand ça s’aime et quand ça crie, quand ça doute et quand ça chante aussi. Jamais le cinéma n’a autant aimé le théâtre, et jamais le théâtre n’a autant ressemblé à la vie.
1. ex-æquo : Promising Young Woman et L’Événement
Pile, la mort, face, la vie. Parce que trop de choix dans l’existence d’une femme se résument à cette alternative terrifiante, impossible de trancher pour la première place entre ces deux films animés d’une même énergie : celle du désespoir. On aurait d’ailleurs pu interchanger leurs titres qu’ils leurs conviendraient tout aussi bien : la jeune fille prometteuse incarnée par Anamaria Vartolomei refuse de voir son destin abrégé par un coup du sort et des lois iniques décidées par des hommes, quand l’événement tragique survenu à sa meilleure amie pousse le personnage de Carey Mulligan à jouer son propre sort pour lui rendre justice. Travail de flou toujours près de son sujet pour nous immerger dans un passé que d’aucuns voudraient hélas ressusciter contre esthétique pop colorée pour alerter sur un présent qu’on n’a pas fini de devoir faire progresser, Audrey Diwan et Emerald Fennell, même combat : celui de réalisatrices engagées dans leur regard artistique sur le monde. Les deux propositions brisent et font suffoquer, on en sort en admiration et éreinté(e). Le cinéma, en 2021, c’était avant tout pour elles trembler.
Comme tous les ans il a fallu faire des sacrifices drastiques pour arriver à cette liste qui laisse de côté des œuvres qui méritent d’être citées : la surprise détonnante Les sorcières d’Akelarre, Almodóvar qui a fini par comprendre les femmes dans Madres Paralelas, Vicky Krieps au sommet dans Serre moi fort, la petite bombe musicale Summertime et le grand film français social de l’année, La Fracture. 2021 fut à n’en pas douter, une courte mais belle année de cinéma, en particulier marquée par la vivacité du cinéma français.
Et vous, quels films de 2021 vous ont marqué(e)s ?
Il y en a certains que je voudrais rattraper (je n’ai qu’à patienter pour qu’ils arrivent sur canal ^^) notamment L’événement, les Sorcières d’akelarre et First Cow. Je suis ravie de voir Promising Young Woman en tête, il est mon numéro 1 aussi ! Je vais tenter de faire un petit top ce week-end de mon côté 😊
Ouiii Promising Young Woman c’est notre coup de cœur partagé ! Je pense que ceux que tu cites ont de quoi te plaire, ça devrait arriver sur Canal dans les semaines à venir pour Les sorcières et First Cow, L’événement comme il est sorti en novembre il va falloir attendre un peu. Hâte de voir ton top !
Je n’ai vu que Promising Young Woman et Le discours, mais je me note quelques titres supplémentaires… merci pour les découvertes !
Toujours avec plaisir !