1 mois, 1 plume, 1 œuvre : Les Hauts de Hurlevent (décembre 2012), par Laura Enjolvy

1 mois, 1 plume, 1 œuvre : le dernier dimanche de chaque mois, un(e) invité(e) vient évoquer une œuvre (livre ou film) sortie ce mois-là… d’une année de son choix.

La plume

Qu’on la connaisse comme membre de Fucking Cinéphiles ou de Sorociné, Laura est sur tous les fronts : site, podcast, revue, tous les vecteurs sont bons pour lui permettre de transmettre sa passion du cinéma, en particulier s’il est fait par des femmes. Aussi douce que le cookie de sa rubrique attitrée, aussi merveilleuse que son égérie Wonder Woman, sa plume sensible est à l’image de sa personne qui ferait mentir les plus vilaines rumeurs sur le milieu cinéphile. Pour ce dernier tour de piste de l’année, elle nous entraîne dans un film passionné…

L’œuvre

Il existe des expériences de cinéma dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Ce jour de décembre 2012, où je décide expressément de voir la nouvelle adaptation de l’œuvre d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent, est l’une de ces expériences.

Il était si simple d’enfermer Andrea Arnold dans la case « cinéaste sociale britannique », comme l’île nous en amène à profusion. Avec Red Road et Fish Tank, elle avait démontré toute l’étendue de son talent en filmant des drames sociaux urbains. Elle avait ainsi développé une mise en scène bien à elle, privilégiant les gros plans et la lumière naturelle. Le mouvement est déterminé par les personnages et non par la caméra. Les deux films pré-cités ont été bien accueilli par la critique et par le Festival de Cannes, avec deux Prix du Jury en 2006 et 2009. Ensuite, elle prend un virage en tête d’épingle et décide d’adapter le roman culte de la littérature anglaise, écrit par la plus mystérieuse des sœurs Brontë. Les Hauts de Hurlevent nous embarque dans la campagne anglaise, au cœur d’une nature brumeuse et inhospitalière. Sommet de la romance gothique, le récit conte l’impossible passion entre Catherine Earnshaw et Heathcliff dans une époque corsetée par les conventions sociales. Mis en image près d’une dizaine de fois pour le grand écran, nombreux sont les réalisateurs qui s’y sont cassé les dents. William Wyler, Jacques Rivette, Luis Buñuel… Des versions considérées comme trop lisses ou trop romanesques. Seul le dernier a su être fidèle à l’aspect plus ténébreux de l’histoire, en la transposant de l’Angleterre au Mexique.

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Andrea Arnold, réalisatrice qui n’a peur de rien (surtout pas des projets ambitieux), réalise alors une énième adaptation, mais pas des moindres. Délaissant le gothique pour mieux s’emparer de la sauvagerie de l’histoire, elle peint le portrait peu reluisant d’une époque et d’un monde rural, portrait qui épouse merveilleusement le naturalisme de sa mise en scène. Car Les Hauts de Hurlevent est surtout une histoire de rejet et de vengeance, avant d’être une histoire d’amour. Un rejet de classe sociale et de race, même si ce dernier aspect n’était pas appuyé dans le roman. Le Heathcliff d’Emily Brontë était un gitan, un étranger qui ne sera jamais vraiment accepté dans la famille Earnshaw comme un membre à part entière. La cinéaste pousse le curseur politique encore plus loin et met en exergue le racisme envers le personnage en choisissant des interprètes noirs (Solomon Grave, enfant et James Howson, adulte). L’impossibilité pour Catherine de pouvoir l’épouser paraît alors évidente tant la barrière ne peut être franchie, malgré son envie d’envoyer balader le carcan social. Le format choisi, le 4/3, finit de les enfermer dans une narration à laquelle ils ne pourront échapper. Leur destin est tragique et le restera, jusqu’à la fin.

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La réalisatrice change radicalement le point de vue de l’histoire et décide de prendre comme personnage principal Heathcliff. Du récit extérieur à soi, que l’on peut écouter tranquillement au coin du feu, elle le transforme en une expérience sensorielle éprouvante. Une radicalité qui nous force à changer le regard sur ce personnage, souvent considéré comme un animal sauvage, comme une brute. Andrea Arnold lui donne une sensibilité, exacerbée par une mise en scène fluide et proche du corps. Heathcliff sait qu’il n’est pas à sa place dans la famille Earnshaw, ni dans le cœur de Catherine, mais il ne peut se résoudre à les quitter, par amour et par fierté. Il ne cesse de rêver d’être accepté dans ce monde qui ne fera que le rejeter, encore et encore. Le film s’emploie à lui donner du cœur et une complexité intérieure. Le cadre ne quitte presque jamais son visage et dévoile ses émotions au travers du toucher, plus que par la parole. Les Hauts de Hurlevent n’est d’ailleurs pas un film bavard. La cinéaste n’a pas besoin d’envolée lyrique pour exprimer l’amour ou la rage. La puissance de ses images et le son, formé seulement par la musique funèbre du vent glacé, suffisent largement.

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Andrea Arnold a su recentrer ce qui fait le sel de cette histoire, deux âmes emprisonnées dans leur époque. Catherine, jeune femme impétueuse, voit ses rêves d’émancipation et de liberté réduits à néant quand elle comprend qu’elle ne pourra jamais laisser libre cours à ses désirs. Heathcliff, étranger pour une famille, une maison ou le pays tout entier, ne verra comme moyen que le mensonge, la violence et le ressentiment pour se sentir accepté. La cinéaste nous offre une version plus audacieuse, plus intransigeante, un film sauvage et sensuel, où le vent vient se heurter aux émotions à fleur de peau. Elle dévoile toute l’ambivalence du récit : beauté, haine, passion, destruction. Il n’y a rien de plus bouleversant qu’un feu intérieur qui s’éteint.

Laura Enjolvy

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