Jean-Louis travaille comme ingénieur à Clermont-Ferrand depuis peu. Il croise par hasard un ami de lycée qui l’emmène passer la soirée de Noël chez une amie divorcée, Maud…
C’est sans doute le premier grand succès d’Éric Rohmer, qui faut d’avoir pu le financer après les deux premiers volets co-réalisés avec Barbet Schroder, a dû en passer par La Collectionneuse avant de tourner Ma Nuit chez Maud, initialement prévu comme le troisième des six « Contes moraux ». Si tous les films de ce cycle ont en commun la trame de leur intrigue (un homme hésitant entre deux femmes, la deuxième rencontrée constituant une forme de « tentation »), celui-ci se distingue par son noir et blanc qui souligne deux aspects remarquables au sein de l’ensemble de la filmographie du cinéaste. D’abord, le plus frappant dès la scène d’introduction, c’est l’importance de la thématique religieuse, qui empiète sur le sujet amoureux jusqu’à le faire passer au second plan. Puis, contrairement à de nombreux films du cinéaste, réputé pour le côté solaire de son œuvre, l’intrigue se déroule quasi entièrement en plein hiver, autour des fêtes de fin d’année.
Et par ses deux aspects relativement singuliers dans la filmographie de Rohmer, Ma nuit chez Maud préfigure ce qui deviendra vingt-cinq ans plus tard le Conte d’hiver qui initie le cycle des « Contes des quatre saisons ». On y retrouve le décor enneigé mais surtout la place centrale d’une figure tutélaire philosophique et littéraire : Pascal. Le « pari » exposé dans les Pensées est en effet évoqué assez longuement dans les deux œuvres, mais sous des formes diverses. Dans Ma nuit chez Maud, on ne peut pas vraiment dire qu’il influe sur les choix des personnages au cours de l’intrigue, mais il donne lieu à un long débat entre deux personnages masculins incarnant deux conceptions différentes de la chrétienté. Considéré par certains à sa sortie comme théâtral, le long-métrage accorde en effet de larges scènes à des plans assez statiques de conversation très intellectuelle où la joute oratoire est présentée pour elle-même, sans véritable objectif narratif. Par la suite, lorsque la conversation inclut davantage Maud (Françoise Fabian), et que son prétendant officieux (Antoine Vitez) cède le pas au nouveau venu Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant), la question religieuse se fait morale. Le film a toute sa place dans son cycle en tant qu’il est beaucoup question de la possibilité ou non de concilier la moralité catholique (pas de relations hors mariage) avec une sexualité plus « moderne » (on est en 1969, donc post-mai 1968) dans laquelle il n’est pas interdit de considérer les relations hors mariage comme une modalité acceptable, voire le sexe comme une activité agréable qui pourrait se pratiquer entre ami(e)s. C’est plus ou moins la vision qu’en a Maud, depuis la perte de celui qu’elle considérait comme l’homme de sa vie.
On sent bien de Rohmer a été très marqué par l’émission qu’il a filmée autour de Pascal (« En profil dans le texte »), et que la question religieuse consume les rapports humains dans le film. La franc-maçonne, un peu caricaturale, incarne une liberté plus ou moins malheureuse, le tenant de la lettre de Pascal est rapidement éludé comme un personnage secondaire, reste Jean-Louis, figure foncièrement antipathique qui, comme Maud le lui reproche, ne semble pas bien savoir ce qu’il veut et reste entre deux chaises le temps que les choses se décantent. Figure faible tenue uniquement par sa « chance », celle que toutes les femmes veuillent miraculeusement de lui, l’ingénieur qui pratique les maths à ses heures perdues opère une forme de calcul : en tant que catholique pratiquante et blonde, Françoise (Marie-Christine Barrault) est supérieure dans son esprit à Maud en tant qu’épouse potentielle. Si elle veut de lui, il l’épouse, mais au cas où elle refuserait, rien ne l’empêche de tâter le terrain avec la brune.
Austère et peu attachant, manquant de la grâce et de la tonalité improvisée des dialogues d’autres des œuvres rohmériennes, Ma nuit chez Maud ne doit qu’à son allusion vaudevillesque finale et à la prestation des femmes du film de ne pas totalement laisser de glace.
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