« Entre deux trains » : duo à corde sensible

À la gare d’Austerlitz, Grégoire recroise Marion. Il rentre d’un concert, elle s’apprête à repartir. Il y a neuf ans, une brève liaison les a uni(e)s. Il leur reste une heure pour refaire l’histoire…

Réalisateur de courts-métrages passé par le documentaire, l’Angevin Pierre Filmon s’attelle à son premier long de fiction avec un projet original : la suite d’un scénario qu’il n’a jamais pu tourner. Dans ce film fantôme, Marion et Grégoire se rencontraient à Berck-sur-Mer, dans un contexte hospitalier qui n’est pas sans rappeler Ceux qui restent.

De cette histoire que nous ne verrons pas, il reste des souvenirs que les personnages évoquent avec précision lors de leurs retrouvailles, au hasard d’un Relay de la gare. La coïncidence est si grande que même eux semblent ne pas y croire. S’instaure alors une tonalité particulière, qui se ressent jusque dans le phrasé et l’écriture des dialogues. Marion et Grégoire sont à la fois deux êtres qui tentent de redéfinir les contours de ce qui fut et pourrait être entre eux. Mais aussi deux personnages comme conscients de faire partie d’une fiction, de quelque chose qui les dépasse, sur lequel ils n’ont aucune maîtrise. La spontanéité de certaines réactions est contrebalancée par des éléments de dialogues très informatifs, destinés à faire naître dans l’esprit des spectateurs/trices les images du film fantôme qui n’a pu exister. C’est moins pour eux que Grégoire et Marion décrivent les lieux de leur rencontre, leurs conversations passées, les personnes qui ont pu être témoins de leur amour, que pour nous, qui ne pouvons savoir tout cela.

Techniquement, le film oscille également entre deux extrêmes : la plus grande simplicité et la plus grande visibilité de ses procédés. Le principe de la balade dans Paris neuf ans après la rencontre rappelle évidemment Before Sunset, mais on peut aussi penser à certains films d’Éric Rohmer, friand lui aussi de ces grandes conversations sur les sentiments qui unissent et séparent les êtres, ou encore à une déambulation comme celle de Cléo de 5 à 7, où la vivacité des déplacements n’est que le masque de l’angoisse et de la mélancolie. Il y a quelque chose de très pur et fluide dans l’idée de suivre au plus près le tandem qui marche dans le Jardin des plantes, souvent dans de longs plans-séquences soumis aux aléas des passants et de la circulation. Quelque chose de fragile aussi, dans les répliques qui parfois s’entrechoquent, la gestion de l’imprévu et surtout cette caméra-épaule qui tourne autour des protagonistes sans jamais les lâcher, quitte à chanceler ou opérer des cadrages approximatifs. Le tremblement de l’image pourra paraître comme un défaut, un stigmate qui nous sort de l’intrigue, mais c’est aussi une forme de poésie et de signature d’un cinéma qui ne se cache pas de vouloir faire beaucoup avec peu de moyens.

Dans ce cadre, Laëtitia Eïdo et Pierre Rochefort évoluent en funambules, conscients du temps qui passe. Celui des neuf années qui ont éloigné les destins de leurs personnages, mais aussi de l’heure qui s’écoule et les ramène irrémédiablement au temps des adieux sur le quai de la gare. Cette déambulation, avec ses accélérations, ses élans impulsés par l’homme, révolté contre l’impossibilité d’« arrêter le temps », quand la femme se contente de le souhaiter sans rébellion, est marquée d’une urgence qui ne tolère aucun délai. Toute interruption, et en particulier celle du beau-père (Ronald Guttman), personnage insupportable qui donne envie de le faire taire par tous les moyens, apparaît comme un gâchis inacceptable des précieuses minutes.

L’air de rien, la petite musique du film s’installe, soutenue par la grande musique (des quatuors de Grieg, Beethoven, Bartók, Schubert), et on se surprend à souhaiter nous aussi que cette heure dure, et qu’on puisse, en temps réel, assister à une autre fin que le déchirement annoncé. Mais que peut le cinéma face à l’implacable réalité ?

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