1 mois, 1 plume, 1 œuvre : Sorcerer (novembre 1978), par Marwan Foudil

1 mois, 1 plume, 1 œuvre : le dernier dimanche de chaque mois (ou exceptionnellement le dernier jour du mois), un(e) invité(e) vient évoquer une œuvre (livre ou film) sortie ce mois-là… d’une année de son choix.

La plume

Vous l’avez peut-être repéré sur Twitter comme sosie d’Adam Driver, mais Marwan est surtout l’une des plume du site On se fait un ciné et du magazine Désolé j’ai ciné, après avoir été une voix récurrente du podcast Certains l’aiment à chaud. Son enthousiasme pour les œuvres qui le fascinent n’a d’égal que sa curiosité à découvrir des longs-métrages en tous genres, mais si le cinéma tient une place centrale dans sa vie, il est aussi féru de musique et compositeur émérite de mélodies à la guitare. Pour cette rubrique, il sera notre guide dans un univers dangereux…

L’œuvre

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Sorcerer, ou le rêve fou de William Friedkin

William Friedkin est un précurseur, un fou furieux, un homme décidé. Son premier film est un documentaire qui est déjà une grande proposition. The People vs. Paul Crump, un long-métrage à charge qui a été fait dans le but de sauver de la peine de mort Paul Crump, un homme accusé à tort. Après la sortie du film, il réussit à faire réviser le jugement et Paul Crump est libre. Existe-t-il une meilleure entrée dans le cinéma ? Évidemment il bouleverse assez vite les codes de mise en scène de la course-poursuite en voiture avec The French Connection, il réorganise également les codes du film d’horreur avec L’Exorciste qui a su effrayer des millions de spectateurs. Sorcerer est pour moi un film somme, un ensemble de tout ce qui fait de Friedkin un grand auteur. On peut aisément comparer Sorcerer en termes d’impact sur le réalisateur et la suite de sa carrière avec Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Tournés presque en même temps, ces films ont alors acquis une aura légendaire de par leur tournage infernal et leur ambition démesurée.

« Le film devint une obsession. Ce serait mon chef-d’œuvre, le film sur lequel je bâtirais ma réputation. J’étais persuadé que tous les films que j’avais réalisés auparavant n’avaient été qu’une préparation pour celui-ci. »

William Friedkin

3 criminels fuient en Amérique du Sud, pour survivre ils travaillent dans une raffinerie de pétrole. Un jour on leur propose une immense somme d’argent pour une mission impossible, amener des caisses de nitroglycérine dans un puits de pétrole en feu dans le but de l’éteindre. Pour cela, on recherche les meilleurs conducteurs pour conduire des camions plein d’explosifs dans la jungle. En tout point le film ne veut pas se soumettre, que ce soit à une narration classique ou bien à un tournage en toute sécurité. Il est merveilleux d’observer le regard fou de ce réalisateur qui à aucun moment n’aide son spectateur à saisir les tenants et aboutissants du film. Pendant plus de vingt minutes nous suivons un enchaînement de péripéties à travers le monde où nous découvrons les personnages principaux. En France, en Israël et à New York, nous faisons face à des anti-héros qui seront alors personnages principaux du récit. Joués par Roy Scheider, Bruno Cremer, Francisco Rabal et Amidou : Sorcerer a le droit à un casting international.

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Lors de son ouverture, et même tout au long du film, Friedkin a ce plaisir ultime d’orienter sa mise en scène dans un style documentaire. En Israël, il filme en gros plan les visages des passants, des habitants comme pour faire exister davantage la ville. L’utilisation de zoom, de caméra épaule soulignent une certaine urgence, celle de ces criminels qui souhaitent survivre loin de leur pays. Il ancre de cette manière le décor et offre à travers ces codes une immersion plus impactante. En plus d’apporter un regard documentaire, Friedkin saisit la manière de filmer l’anti-héros en personnage principal au cinéma. Autant ils sont d’abjects personnages, autant la caméra ne cherche à aucun moment à créer de jugement, nous laissant alors dans cette contradictoire empathie qui est grandissante à mesure que leur trajet en camion évolue.

Sorcerer : William Friedkin raconte le tournage de son chef-d'oeuvre maudit  | GQ FranceFriedkin a toujours été à la recherche d’un absolu au cinéma, jusqu’à vouloir tourner en Amérique du Sud et tout faire en condition réelle. Encore une fois, il est amusant de constater les similitudes entre Sorcerer et Apocalypse Now. Car en effet, ça a été un tournage truffé de mésaventures. Entre démission, maladies contractées là-bas par une partie de l’équipe, et températures infernales, plus d’un aurait abandonné le film. Mais l’absolu ne s’abandonne pas aussi facilement. Bien que le film ait été un échec en salle, quand on a la chance de revoir le film, on est obligé de se dire qu’il aurait été impossible d’avoir une photographie aussi immersive et happante. Entre les acteurs qui suaient à grosse goutte, les pluies diluviennes,les arbres immenses et parois rocheuses qui donnent un décor à en faire perdre la tête à tout aventurier émérite. Cet absolu était bien nécessaire pour parler de la quête de la rédemption de nos criminels, qui acquiert au fur et à mesure une aura métaphysique, comme s’ils devaient faire la paix avec eux-mêmes et avec ce qui existe autour d’eux afin d’arriver à leur fin. Car le bidonville où vivent ces hommes en Amérique du Sud est en quelque sorte un enfer et ce chemin dans la jungle une sorte de Styx tout plein de verdure. Devenant conducteurs de camions remplis d’explosifs à travers l’inconnu de la jungle, ils doivent alors passer un bon nombre d’obstacles que leur proposent la météo, la nature, et finalement eux-mêmes. Cela n’a pas été précisé plus tôt, mais ce n’est pas non plus la grande entente entre ces hommes à la recherche de rédemption, qui voient finalement leurs collègues comme danger équivalent au reste, compliquant d’autant plus leur entente et leur mission. Il est intéressant également d’observer que Friedkin n’oublie pas de prendre en compte la critique d’un capitalisme qui deviendrait alors un nouveau mysticisme. Sorcerer explore un capitalisme intégré qui apparaît comme un rédempteur, car tout est fait pour oublier que cette aventure est uniquement faite pour sauver les miches d’un pétrolier qui se moque de sacrifier ces hommes pour effacer ses erreurs. Comme si le piège était toujours présent pour les criminels, même lorsque ceux-ci semblent croire qu’ils se sont échappés à des milliers de kilomètres de leurs problèmes. sorcerer-le-chef-d-oeuvre-hallucine-de-william-friedkin-enfin-rehabilite2cm241487

Sorcerer de Friedkin est une œuvre complète qui a eu la mauvaise expérience de sortir une semaine avant un Star Wars, d’être en plus incompris par ses pairs. Un sacrifice qui rend encore aujourd’hui son réalisateur amer. Néanmoins, par cette œuvre en avance sur son époque, il apporte un cinéma plus fou, plus dense, plus aventurier, un ensemble de ce qui fait de lui un auteur. Il est indéniable que The People vs. Paul Crump, French Connection et L’Exorciste ont été les marches, les étapes, pour atteindre le chef d’œuvre Sorcerer, Le convoi de la peur.

Marwan Foudil

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