Raimonda et Soledad ont enterré leurs parents, morts dans un incendie. Mais leur vieille tante Paula et la voisine affirment avoir vu leur mère revenue comme fantôme dans le village…
Après La mauvaise éducation, qui lui a valu une expérience de tournage particulièrement douloureuse, Pedro Almodóvar revient en quelques sortes à ses premières amours avec Volver. Avec son titre tiré d’une chanson de Carlos Gardel, qui a longtemps fait l’objet d’une sorte de crainte d’une malédiction, qui correspond assez bien à l’ambiance du long-métrage, ce film signe un retour dans tous les sens du terme.
Du point de vue du lieu, le cinéaste revient dans sa région de La Manche, et emploie ses sœurs comme conseillères pour que le village colle à la réalité de la mentalité des lieux. On est dans une ambiance familiale proche de celle qu’a connu le cinéaste enfant (et qu’on retrouvera quelques années plus tard dans les flashbacks de Dolor y Gloria).
Du point de vue des thématiques, on retrouve un « film de femmes » après une œuvre dont elles étaient quasiment totalement absentes. Ce qui donne l’occasion aux différentes muses du cinéaste de se rejoindre devant la caméra : Penélope Cruz qui trouve ici l’un de ses rôles principaux, mais aussi Chus Lampreave, l’éternelle grand-mère de la filmographie d’Almodóvar (ici en grand-tante), et Lola Dueñas qui apparaissait dans Parle avec elle. Mais c’est surtout le grand retour de Carmen Maura, après dix-sept ans de disparition des films du cinéaste. Et quel retour, avec un personnage quasiment sur mesure pour l’occasion, de mère décédée qui réapparaît sous forme de fantôme à ses filles.
S’il a souvent traité de façon décalée ou burlesque des événements de la vie, le cinéaste ne s’était pas jusqu’ici vraiment lancé dans une veine fantastique, mais son incursion dans le genre du film de fantômes a ceci de particulièrement saisissante qu’elle n’en emploie pas les codes. À aucun moment, Carmen Maura n’a l’air d’une morte revenue du tombeau : elle est vêtue d’habits normaux, son teint n’est pas particulièrement blafard, elle ne flotte pas au-dessus du sol, et surtout, toutes les personnes qui la croisent semblent pouvoir non seulement la voir, mais discuter avec elle et lui parler. Un tel retour met forcément la puce à l’oreille des spectateurs/trices, quand bien même ses filles et le voisinage font preuve d’une certaine candeur à ce sujet. Ce fantôme particulier qui se cache sous le lit dès que quelqu’un de sa connaissance arrive et se fait passer pour une coiffeuse russe devant les inconnu(e)s introduit dans le film une tonalité de comédie qu’on n’avait plus vue chez le cinéaste depuis une décennie. Il faut dire que dans Kika, l’humour ne tombait pas toujours à propos. Mais ici, l’écriture fait preuve de finesse et sait alterner les registres en fonction des thématiques : on peut rire de l’adultère ou des manies d’une mère, mais certainement pas de l’inceste.
On retrouve aussi la question du manque d’argent et du quotidien épuisant des femmes dès le début du métrage, qui rappelle nettement Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?. La solution vient alors entre autres d’un coup de chance (le voisin qui se sépare de son restaurant à point nommé), mais aussi et surtout de la sororité qu’on aimait tant dans les premières œuvres du cinéaste et qui revient en force à la fois sous une forme familiale et amicale, permettant à Raimonda de trouver un nouveau gagne-pain et de laisser ses ennuis derrière elle. Portrait au vitriol des hommes dépeints par les femmes comme abuseurs, paresseux et hypocrites, Volver encense au contraire le courage des femmes et leur force lorsqu’elles se réunissent. Avec un casting aussi royal pour l’incarner, cette idée illumine le métrage, comme une synthèse des plus réussies de son réalisateur.
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