« Une vie démente » : tant qu’il y a de la vie, il y a de l’art

Alex et Noémie veulent devenir parents. Mais alors qu’ils essaient de faire un enfant, la mère d’Alex, qui organise des expos d’art contemporain, est prise de manies étranges et commence à perdre la mémoire et ses repères…

Alors que Joachim Lafosse a récemment fait couler beaucoup d’encre avec son traitement de la bipolarité au sein d’une famille dans Les Intranquilles, le cinéma belge prouve qu’il a toujours de la ressource avec une œuvre d’Ann Sirot et Raphaël Balboni, un duo repéré pour leurs courts-métrages (dont un récompensé d’un Magritte).

De loin, une certaine similarité : au lieu de centrer toute l’intrigue sur la personne malade, le scénario s’attache à montrer toute la vie de la famille de cette personne, et le retentissement qu’une pathologie affectant le comportement avec les proches peut occasionner sur tous les pans de leur quotidien. De près, une perspective et une esthétique toute différente, et à l’avantage d’Une vie démente, qui semble une parfaite démonstration de ce que la fiction peut apporter à un tel sujet.

Le processus de création du film a lui-même été non sans rapport avec son sujet, celui de la « démence sémantique » qui commence par se rendre perceptible lorsque Suzanne se met à ne plus associer un objet à son nom, puis à être incapable de répéter une suite de mots qu’on vient de lui lire. Pour accompagner cette idée de mots qui échappent, les cinéastes ont conçu un scénario sous forme de trame, les comédien(ne)s improvisant les dialogues autour des grandes lignes. Le résultat a quelque chose d’à la fois éminemment réaliste, fait des hésitations, des doutes, des incompréhensions lié(e)s à la situation, mais également très poétique.

Car chez Suzanne – incarnée par la fabuleuse Jo Deseure, issue du théâtre – le dérèglement cérébral s’accompagne de la perte de certaines facultés, mais certainement pas de celle de percevoir le beau. Passionnée par l’art contemporain, autour duquel elle avait construit sa carrière, elle reste sensible à l’esthétique sous toutes ses formes, et cette vision singulière du monde, symbolisée par l’œuvre dont le papier se détruit, a de quoi dérouter son entourage. Cet enthousiasme débordant pour la beauté est ce qui contribue à rendre le film touchant et parfois même léger et pétillant, en dépit de son sujet. Qu’il s’agisse de créer une expo de dessins d’enfant ou de découvrir une version punk des Quatre saisons de Vivaldi, Suzanne est partante. Et même si son évolution est dure à vivre pour son fils (Jean Le Peltier), c’est ce que sa compagne (Lucie Debay) essaie aussi de lui montrer : tant qu’il y a de la vie, il peut y avoir de la joie.

Malgré tout le film n’esquive pas les difficultés de la vie des aidants, donnant leur place à la fois aux interrogations du couple épuisé par la situation et le report de leurs projets intimes, mais aussi à l’aide à domicile (Gilles Remiche) qui parvient à son calme en toutes circonstances. Il ne les esquive pas, mais il les enjolive esthétiquement. Alors que la maladie est très souvent figurée par un environnement clinique, froid, blanc ou sombre, le parti-pris des cinéastes et du directeur de la photographie Jorge Piquer Rodriguez est tout autre. D’abord il y a ces scènes administratives ou médicales tournées face caméra, avec des costumes colorés assortis au papier peint, presque comme un sketch ou une mise en scène du théâtre de l’absurde. Puis cette housse de couette offerte par Suzanne dont les motifs de jungle colonisent peu à peu tous les éléments de la chambre conjugale, à mesure que le surcadrage vient symboliser l’omniprésence de la malade.

Frais et enthousiasmant dans le traitement d’un sujet qui est à peu près l’opposé de ces adjectifs, Une vie démente séduit et donne envie de voir son binôme créatif continuer à explorer les aléas de la vie côté positif.

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