Les Utopiales 2021 – Belle, Contagion

Belle

Belle

Suzu est une adolescente mélancolique qui vit avec son père depuis la mort de sa mère. Mais dans l’univers virtuel U, son avatar Belle est la nouvelle star de la chanson…

Le film aurait pu s’intituler La Belle et la Bête, il aurait ainsi fait pendant au Garçon et la Bête du même réalisateur quelques années plus tôt. S’il est nommé sobrement Belle, on n’en est pas moins face à une forme de réécriture du conte. Assez loin de la version popularisée par Disney certes, à l’exception de la scène de valse qui pourrait y faire penser, mais reprenant le motif de la jeune fille orpheline de mère, qui dans un château à l’abandon rencontre la Bête, individu masculin mystérieux dont l’apparence véritable ne peut être révélée que par la Belle.

Néanmoins, le récit s’ancre largement dans une réalité contemporaine qui fait de la réécriture un aspect parmi d’autres de l’œuvre. Le présent concret de Suzu nous entraîne dans des décors ultraréalistes qui contrastent avec des personnages caractéristiques de la japanim avec leurs expressions exagérées, leur faciès se déformant sous l’effet de la peur ou de la surprise, rougissant jusqu’aux pieds ou se couvrant de gouttelettes de sueur à la moindre émotion. C’est ce qui offre au métrage ses scènes les plus comiques, en particulier autour des amours adolescentes. Ces passages détonnent par rapport au fond plutôt tragique de l’intrigue, en particulier autour du deuil de la mère de Suzu, qui a péri en sauvant un enfant de la noyade.

En plus de cet univers adolescent assez classique mais relativement riche, Belle nous offre une plongée dans U, un monde virtuel présenté aux utilisateurs/trices comme la possibilité de vivre une autre vie. L’avatar censé être créé à partir de leurs données biométriques est comme une révélation de leur être profond : et pour la timide Suzu, c’est une chanteuse pop à succès, que ses costumes fantasques, ses cheveux roses et ses textes jouant sur les émotions universelles propulsent sur le devant de la scène médiatique. Les passages de spectacles et leur lot de créatures bigarrées, dans cet univers où tout est possible, y compris se faire transporter à dos de baleine flottant dans les airs entre des gratte-ciels, rappellent la folie déjantée de Paprika : dans le virtuel comme dans le rêve, tout est permis, et les designers s’en donnent à cœur joie.

 Le résultat est inégal, tantôt entraînant tantôt fatigant, et l’intrigue autour de La Belle et la Bête se raccroche à des personnages sortis de nulle part, censés prouver à quel point Suzu est digne de l’héritage maternel. C’est le comble de ce film trop généreux en idées, qui peine à tenir sur la durée sans se perdre entre son monde réel et son univers virtuel, dont on ne sait jamais vraiment si les possibilités sont dénoncées ou adulées.

Contagion

Contagion

Beth rentre d’un voyage d’affaires à Hong Kong un peu grippée. Mais en quelques heures, son état s’aggrave, elle contamine son petit garçon et tous deux décèdent. Ailleurs dans le monde, les cas se multiplient…

Programmer Contagion en festival en 2021, alors que la crise du Covid peine à se faire oublier, il fallait oser, les Utopiales l’ont fait. Si d’aucun(e)s ont dû quitter la salle, c’est que le film de Soderbergh – et Scott Z. Burns au scénario – résonne d’un peu trop près avec l’actualité. Démarrant au tout début de l’épidémie, « day 2 », avec un décompte des jours et des cas défilant régulièrement sur l’écran, le long-métrage nous impose d’emblée les angoisses de son sujet, qui sont malheureusement devenues les nôtres. La caméra cadre en gros plan les visages suant de fièvre, toussant, le teint blafard, mais aussi tous/tes les personnes passant à proximité de gouttelettes, et surtout, les objets contaminés par le toucher devenant aussitôt vecteurs de contagion. Extrêmement mobile, le regard est guidé par cette caméra qui virevolte d’une poignée de porte à une liasse de documents, d’une barre de métro à un téléphone portable. On comprend intuitivement la propagation en temps réel, avant même l’explication scientifique dispensée par le personnage de Kate Winslet.

Car non content de nous tenir sur le grill par la pertinence de ses choix de mise en scène, son cadrage et son montage qui n’offrent aucun répit, Steven Soderbergh s’est concocté une distribution impériale, alignant Marion Cotillard, Matt Damon, Gwyneth Paltrow, Laurence Fishburne, Jude Law, Bryan Cranston et Jennifer Ehle, dans les rôles principaux. Et on retrouve en eux/elles tous/tes les figures d’une pandémie mondiale : les instances de santé officielles, les chercheurs/euses qui contournent parfois les règles, les médias, les influenceurs/euses prêt(e)s à soutenir n’importe quelle thèse contre de la visibilité et de l’argent… mais aussi des personnes tout à fait lambda qui se retrouvent prises dans l’engrenage de la situation, à l’instar de la famille de la « patiente zéro ».

Passionnant dans ses rouages sur l’organisation mondiale (mais en particulier américaine) face à la crise, le film l’est aussi dans ce qu’il déploie de la psychologie humaine : comment faire face au deuil de ses proches quand on n’est pas autorisé à les inhumer ? jusqu’où faire passer le devoir avant la protection de sa propre famille ? face aux biens rares, va-t-on se battre comme des chiffonniers/ères ou faire preuve d’altruisme ? On retrouve une forme d’expérience sociologique qui apparaît aussi souvent dans les œuvres post-apocalyptiques, qui forcent l’humanité dans ses retranchements. Et ce qui impressionne, au-delà de l’indéniable maestria cinématographique, c’est à quel point le scénario de Scott Z. Burns, qui s’était appuyé sur les conseils de scientifiques pour être réaliste, était visionnaire. La plupart des événements et de leurs enchaînements concordent de façon troublante avec ce que nous avons vécu, même si au regard du film les populations ont finalement été assez dociles et disciplinées. Avec Contagion, demi-échec commercial à sa sortie, Soderbergh ignorait qu’il signait une œuvre qui fera date comme un présage funeste et pertinent.

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