« Illusions perdues », splendeur et misère du poète

Lucien Chardon, dit de Rubempré du nom de sa mère, se pique de poésie. À Angoulême, où il est imprimeur, Madame de Bargeton s’éprend de son talent et de sa personne, et s’échappe avec lui pour Paris…

Après la déception Eugénie Grandet, les attentes étaient élevées pour ce deuxième Balzac adapté au cinéma de la saison. Le projet de longue date de Xavier Giannoli, fasciné par ce roman depuis ses études de lettres, a nécessité de laisser mûrir pour arriver à extraire ce qui du pavé balzacien pouvait constituer une œuvre de cinéma. Un gros travail de réécriture pour lequel le cinéaste a sollicité l’appui de Jacques Fieschi dans une perspective d’humanisation des personnages. Pour éviter la binarité des influences de Rubempré, tiraillé dans le livre entre Lousteau et d’Arthez, deux modes d’approche du monde littéraire, Giannoli supprime le deuxième, l’âme pure, et le remplace par un nouveau personnage, condensé de plusieurs figures balzaciennes, Nathan d’Anastazio, dont il confie l’interprétation à un Xavier Dolan à la diction méconnaissable, dépouillée de toute trace d’accent.

C’est l’un des personnages captivants de ce récit qui brille par la solidité de ses seconds rôles, nombreux mais équilibrés, constituant un écosystème crédible, de Depardieu en éditeur-épicier qui n’a que faire du talent et ne pense qu’en termes de vente, à Cécile de France dans une dignité qui rappelle son rôle dans Mademoiselle de Joncquières, en passant par une vénéneuse Jeanne Balibar qui tire les ficelles en coulisses, d’une autre façon que Jean-François Stévenin dans un de ses tout derniers rôles, vendu au plus offrant.

Ce qui impressionne, c’est le rythme tourbillonnant du métrage qui ne laisse jamais l’ennui pointer sur ses 2h30. Dans une esthétique à mi-chemin entre le sens de la fête et des fastes baroques d’Au revoir là-haut et la déformation assombrissante et ironique de La Favorite, la photo de Christophe Beaucarne, qui est décidément LE chef op de la saison (Serre moi fort, Amants, Le milieu de l’horizon) et le montage de Cyril Nakache nous entraînent au cœur du Paris de la Restauration. Globalement réaliste dans son approche esthétique de l’époque, le film n’en cherche pas moins à produire un discours sur l’actualité, abordant des thèmes comme les fausses nouvelles, le rachat des médias par les riches industriels, ou l’infiltration du monde de la finance au pouvoir. Si c’est souvent passionnant, on sent parfois un peu trop la volonté didactique, que ce soit dans le poids de la voix off ou dans quelques plans très symboliques pas forcément nécessaires à la compréhension. Mais globalement il y a une générosité dans le métrage, et une telle capacité à rendre hommage au sens de la formule de Balzac, qu’on lui pardonnerait assez volontiers ces menus défauts.

Ce qui pèche en revanche sérieusement, et handicape l’œuvre, c’est son acteur principal. On manque peut-être d’acteurs vingtenaires crédibles en costume d’époque, car le choix de Benjamin Voisin déçoit grandement. Entre son regard vide d’expression et son incapacité à dire de la poésie en y mettant un tant soit peu d’intention, son Rubempré ne fait le poids face à aucun(e) des seconds couteaux qui l’entourent. Il se fait en particulier voler ses scènes par un Vincent Lacoste si adéquat pour incarner la rouerie désabusée qu’on aurait apprécié qu’il travaille un peu son élocution pour la rendre moins anachronique, et par une Salomé Dewaels qui constitue la grande révélation de ces Illusions perdues. Parfaite en tenue de scène, tour à tour mutine et sensible, elle apporte une touche d’émotion sincère et incarnée, qui par ailleurs est ce dont le film manque le plus, entre son esthétique et son discours.

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6 commentaires sur “« Illusions perdues », splendeur et misère du poète

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  1. Le Rubempré de Balzac est un personnage faible et inconstant qui n’a pas le caractère de son talent écrit ; de ce point de vue, j’ai trouvé l’interprétation de Benjamin Voisin tout à faite adéquate. De manière générale, l’interprétation est très bonne comme tu dis et le film plein d’énergie. J’ai détesté la photo de La Favorite et elle est bien meilleure ici je trouve. Globalement, c’est une belle adaptation, quoique partielle (il manque la générosité et la grandeur d’âme balzacienne qui réside dans le Cénacle et chez David Séchard dans le livre), de ce qui est un des plus beaux livres du monde, et le grand oeuvre de Balzac.

    1. Faible et inconstant c’est une chose, ça ne veut pas forcément dire inexpressif… J’avais beaucoup aimé le travail de l’image sur La Favorite, avec son côté déformant, mais je conçois que ça ne plaise pas à tout le monde. De Balzac, j’aimerais voir une adaptation récente du Lys dans la vallée, celui qui m’a le plus passionnée à la lecture par son traitement du dilemme moral.

      1. Dommage d’ailleurs qu’Ophuls soit mort avant d’avoir pu mener son projet d’adaptation du Lys dans la vallée à son terme. Mais il y a tellement de livres de Balzac qui feraient de formidables films.

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